21h00 et le soleil s’était enfin couché. Gwen revenait d’un de ses cours de danse qu’elle organisait pour les enfants de milieux défavorisés. Ce soir-là, les gamins montraient leurs apprentissages sous forme de spectacle. Les parents étaient très émus et fiers, ce qui avait eu pour effet de combler le cœur de la jeune Shepard. Il était si gratifiant de créer le bonheur sans rien demander en retour que ces merveilleux sourires se dessinant sur les visages. Encore une journée réussie, pensa Gwen, épuisée, mais heureuse.

La blondinette, son sac sur l’épaule, avait décidé de faire un petit tour dans le parc avant de rentrer chez elle, histoire de décompresser, de prendre quelques minutes pour elle. Bien que faire plaisir aux gens étaient une source de joie, il s’agissait également d’une grande source de stress. Les yeux brillants de fatigue, les joues un peu rose, Gwen ne pouvait cependant pas s’empêcher de laisser naître un sourire heureux sur ses lèvres.

Le parc était bien vaste et les arbres étaient nombreux. Il était si apaisant de se retrouver dans cette nature, artificielle certes, mais nature quand même! La jeune demoiselle s’arrêta à un banc où elle prit place, les mains sur les genoux, les yeux un peu brumeux à cause de la fatigue. Les ombres qui se dessinaient autour d’elle semblaient se mouvoir à la manière de monstres hideux et sanguinaires.

*Allons, Gwen, reprends-toi! Ce ne sont que des arbres qui bougent au vent!*

Et pourtant, ces ombres semblaient menaçantes. Le parc avait l’air beaucoup plus sécuritaire à la lumière du jour finalement. Et si quelqu’un était caché derrière cet arbre-là? Ou camouflé sous le gros buisson touffu un peu plus loin? Non, la fatigue la rendait beaucoup trop nerveuse, elle devait se calmer. Si seulement elle avait pu traîner Duke avec elle, la peur se serait estompée en deux temps, trois mouvements! L’angoisse la rongeant plus que Gwen ne pouvait en supporter, celle-ci se mit à chantonner tout haut, se calmant par le son de sa propre voix.

Un bruit. Un craquement. Oui, une branche cassée. Quelque chose venait en sa direction. La panique s’empara de tout son être. La jeune femme sortit une paire de souliers de danse de son sac, seule arme qu’elle avait sous la main et dit tout haut à la «chose» qui approchait.

«Mon… Montrez-vous immédiatement et calmement, je suis armée!»

Sa voix était chevrotante et elle tremblait de la tête aux pieds, mais elle se défendrait jusqu’à sa mort, s’il le fallait.

La jeune femme se leva et fit quelques pas en direction d’Allan, laissant pendre de façon dérisoire l’ersatz d’arme qui pendant un court instant avait abusé Allan.


Ainsi une simple paire de chaussures l’avait engaillardie au point d’affronter ce qui représentait pour elle un danger.
Allan en aurait presque sourit si la situation ne s’était pas présentée sous un aspect problématique pour lui.

Pourtant il avait obtempéré à sa demande, espérant ainsi montrer sa bonne foi et sa volonté de ne nuire à personne.
Mais malgré son attitude apaisante, la jeune femme persista dans son attitude, le taxant même de sournoiserie.


Allan était paralysé sur place, conscient que le moindre geste de sa part pourrait être interprété défavorablement.
Son envie était grande de se retourner et de partir en courant, mais la peur lui tenaillait le ventre, le privant de toutes pensées lucides pour désamorcer cette bombe à retardement, qu’était leur trouille réciproque.

Une fois la phrase prononcée et certainement rassurée par son incroyable courage, ou inconscience, elle tenta de faire quelques pas de plus, et chancela, prenant de justesse appui contre un arbre.


Allan avait trop de mauvais souvenirs, de tabassées et autres gardes à vue, uniquement basés sur des présomptions, pour ne pas être à l’aise et subir plutôt que réagir.

Et comble de malchance, comme si cela n’était pas suffisant, les yeux de la fille se mirent à tanguer alors qu’une expression d’horreur se faisait jour sur son visage et qu’elle glissait inanimée sur le sol enfeuillé.

D’énormes gouttes de sueur glaciale ruisselaient dans le dos d’Allan qui vivait un cauchemar sans nom.

Confronté à la nécessité de réagir, un choix se posait à lui : fuir jambes à son cou et laisser la jeune inconnue à son sort, ou se foutre un peu plus dans la mouise en essayant de la soulager au risque de se faire accuser de toutes les vilénies.
Il avait vécu l’indifférence et l’abandon et en avait souffert plus souvent qu’à son tour.
Il en tenait rigueur au monde entier et avait développé une certaine philosophie concernant le genre humain…mais elle n’était pas le monde entier et la laisser seule, en danger potentiel était au dessus des forces d’Allan.

Au prix d’un difficile effort, ses muscles se relâchèrent et il avança, mal assurée vers la jeune fille étendue devant le banc.

Elle paraissait frêle, couchée à même le sol, ses cheveux d’un blond moisson cachant en partie son visage.
Sans réfléchir Allan retira sa chemise qu’il roula en boule et la disposa sous la blonde tête, atténuant ainsi la douloureuse position qu’elle subissait.

Un genou à terre, Allan était toujours partagé entre sa peur irrépressible de revivre des moments pénibles et l’assistance qu’il se devait d’apporter à quelqu’un dans le besoin.

Délicatement il lui tapota l’épaule en l’appelant sans brusquerie :

« Mademoiselle…s’il vous plait Mademoiselle…ressaisissez vous…Mademoiselle… »

Un semblant de mouvement de la tête fut la seule réaction perceptible, ce qui plongea Allan dans la plus grande perplexité sur la conduite à tenir.

Perplexité de bien courte durée car quand Madame la poisse s’invite à la table, elle ne fait pas les choses à moitié.

Toute attention accaparée par l’état de la jeune fille, Allan fut brutalement transporté dans la réalité de son cauchemar.

« Vous faites quoi sale petit dégueulasse » entendit-il d’une voix de stentor et avant qu’il ne puisse réagir une masse venue de derrière lui, le releva violemment et lui décocha un formidable uppercut digne des meilleurs combats du siècle dernier.

Allan fut projeté contre l’arbre qui avait assisté la jeune femme quelques instants auparavant, tandis que la douleur irradiait tout son corps et que sa tête rebondissait sur le tronc.

Il se sentit glisser et le noir l’ensevelit, porte glacée de son futur enfer.

Des nuages de vapeurs tournaient dans la tête de Gwen, alors que son corps était étendue par terre, contre sa volonté. Elle voyait des petites filles qui dansaient, sous le regard humide de leurs parents, heureux de les voir s’épanouirent. Tutus roses, petites ballerines, collants, blancs… Croisées, entrechats… Un, deux, trois, un, deux, trois, pointe.

L’esprit de la jeune femme se perdait, voletait dans ses souvenirs, dans ces images que l’on ne peut oublier. Pendant ce temps, un inconnu était près de son corps et elle ne pouvait réagir. Elle sentit qu’il la touchait, un faible gémissement finit par sortir d’elle-même avec un léger mouvement de la tête, mais elle n’arrivait pas à revenir à elle.

*C’est trop difficile… J’y arrive pas… Monsieur ne me faites pas de mal, je vous en supplie.*

Un, deux, trois, un, deux, trois, tour piqué. Un, deux, trois, un, deux, trois, cambré en grand dégagé.

« Mademoiselle…s’il vous plait Mademoiselle…ressaisissez vous…Mademoiselle… »

La jeune femme luttait pour revenir à elle et ce n’était pas tâche facile. Pendant ce temps, une autre personne arriva et agrippa l’inconnu. Les yeux de la meneuse de claques s’ouvrirent et les nuages de vapeur ne s’estompèrent pas tout de suite. Cependant, elle put apercevoir très clairement que l’on attaquait l’homme qui lui avait fait si peur plus tôt. Et lorsqu’elle sentit la chemise sous sa tête, une vague de panique l’envahit. D’une voix faible, à peine audible, elle dit :

«S’il vous plaît, non! Il est venu à mon secours.»

Mais on ne l’entendait pas. Cette fois, Gwen rassembla ses forces pour crier :

«Arrêtez!!!!!»

Le second inconnu confus, quitta l’endroit en marmonnant, contrarié qu’on lui crie dessus alors qu’il venait porter son aide. Faible, mais maintenant totalement consciente de la situation, la jeune fille vit le premier inconnu par terre, en piteux état. Sans connaissance.

*Eh bien! C’est chacun son tour on dirait!*

La demoiselle, à quatre pattes, alla chercher son sac, fouilla à l’intérieur pour chercher sa bouteille d’eau. Elle saisit la chemise et se dirigea ensuite vers l’inconnu, toujours à quatre pattes, ne voulant pas perdre ses forces à se mettre debout. Gwen aspergea le visage de l’homme et attendit un peu avant de l’éponger, puis recommença encore.

«Monsieur? Monsieur, m’entendez-vous?»