Travaux, travaux, travaux. Les remises de mi-session avaient commencées et Gwen Shepard était plus que débordée. Entre les réunions de l’équipe de cheerleaders et son groupe de discussion de jeunes sur la sexualité, il ne restait à l’étudiante que peu de temps pour accomplir ses tâches académiques. Comble du malheur, elle n’avait même pas réussi à faire sa promenade matinale à la plage avec Duke, son imposant Boerboel. Gwen se sentait coupable, mais elle n’avait pas le choix, elle devait faire une grosse recherche sur la photographie américaine du début du 20e siècle, entre autre en parlant de Charles C. Ebbets, que la jeune étudiante adorait. Cependant, le travail était colossal.

Il n’y avait pas grand monde en ce matin-là à la bibliothèque, les étudiants étant tous à la bibliothèque de l’université. Gwen avait préféré la bibliothèque de la Lincoln Avenue, plus fournie en volumes et moins achalandée par les élèves en Art, lui donnant une chance de pouvoir trouvé des volumes qui n’étaient pas déjà prêtés.

Un silence presque religieux régnait dans le bâtiment, comme dans toute bibliothèque respectable. La jeune femme se dirigea telle une flèche vers la section sur les arts, passant devant un homme qui disparaissait sous des volumes épais. L’étudiante n’y prêta même pas attention.

La belle blonde passait les ouvrages au peigne fin. Elle prit un livre sur le photo journalisme, sur la photo de rue, puis sur Lewis Hine et Dorothea Lange, histoire d’avoir beaucoup de variété. Mais elle ne trouvait sur Ebbets.

*Pourtant ces photos ont fait le tour du monde!*

Lorsque Gwen aperçut enfin l’ouvrage, elle poussa un soupire de découragement. Le rayon le plu haut, évidemment! Plutôt de petite taille, la jeune universitaire ne parvenait pas à rejoindre l’épais volume. Même avec le petit tabouret, il n’y avait rien à faire. Décidée à obtenir ce livre d’un moyen ou d’un autre, la débrouillarde et téméraire empila les ouvrages qu’elle avait déjà en main sur le tabouret et grimpa de nouveau. De peine et de misère, la belle parvint à attraper le livre, en équilibre précaire sur cet amas de livre. En ramenant son bras vers elle, la blondinette perdit l’équilibre dans un grand «BOUM!».

Les cheveux devant les yeux, les livres éparpillés à travers la rangée, Gwen était à plat ventre, de tout son long, parmi ses bouquins. En levant les yeux, elle aperçut l’homme qui devait avoir été dérangé par son cri de surprise et le boucan de sa chute.

«Excusez-moi…»

La jeune femme se mit en position assise et replaça ses cheveux du mieux possible, un peu gêné de sa gaffe. Elle contempla avec un peu de colère le livre sur Ebbets, cause de sa maladresse.

Appliqué dans son travail de recherche le jeune médecin sursauta quand un bruit énorme le tira de sa concentration. Bruit provoqué par une avalanche de gros livres tombant sur le sol suivi de la chute d'une jeune fille blonde qui alla rejoindre dans un vol plané l'éparpillement d'ouvrages étalés sur le plancher.

Saisi, il baissa la yeux vers l'amas qui se présentait à ses yeux étonnés, découvrant un charmant tableau : une jeune fille était allongée à plat ventre sur le sol, les cheveux dans les yeux, entourée de livres dont la couverture lui révéla qu'ils traitaient de photographie.
La première surprise passée qui le fit rester immobile quelques secondes à la dévisager, le stylo toujours dans la bouche, il reposa ensuite celui-ci sur la table et éclata de rire après avoir constaté qu'elle ne semblait pas blessée.

Puis il calma son hilarité, conscient que les bruits sont malvenus dans une bibliothèque et que la jeune fille risquait de se vexer.

Dans un réflexe tout professionnel, confus mais le sourire encore aux lèvres il se leva et s'approcha de la demoiselle maintenant assise qui dardait un œil plein de reproches à l'un des bouquins, s'accroupissant à côté d'elle.

Vous allez bien ? Vous ne vous êtes pas fait mal ? Je suis médecin, si vous avez besoin d'aide… dit-il en reprenant son sérieux.

Puis il l'aida à rassembler les livres jonchant le plancher de la bibliothèque, les posant dans un premier temps sur sa table. Il lui tendit ensuite la main pour l'aider à se relever et resta bêtement planté devant elle.

Tant qu'il s'agissait de faire son travail il le faisait bien et avec assurance. Par contre, dans le privé il avait tendance à perdre contenance devant la gente féminine, et puisqu'il ne pouvait rien faire pour elle puisque sa santé ne semblait pas menacée il ne savait plus trop quoi lui dire.
Une infime rougeur envahit son visage, heureusement masquée en partie par le hâle de sa peau mate.

Heu… Vous êtes installée à quelle table ? demanda-t-il à voix basse pour ne pas gêner les gens présents. Je vais vous aider à y transporter ces livres si vous voulez…

Maintenant il n'avait plus qu'une hâte : qu'elle lui dise où il devait déposer les ouvrages et disparaître rapidement comme un voleur pour aller se plonger à nouveau dans les siens, hors du regard – d'ailleurs charmant – de la demoiselle.

Mal à l'aise, il attendit qu'elle lui donne l'indication demandée, finissant par jeter des regards sur les côtés pour ne pas à avoir à la regarder trop longtemps dans les yeux.

*Woahhhh, ce qu’il est mignon!*

Les yeux de Gwen se mirent à pétiller de mille feux en voyant le bel indien se diriger vers elle. Car il n’y avait pas de doute, son teint, ses traits, il avait tout d’un indien. Ses yeux sombres auraient fait rêver n’importe quelle fille, songeait-elle se retenant d’ouvrir tout grand la bouche, bouche bée par ce bel adonis sortit de nul… Enfin, sortit d’un tas de livres volumineux.

Avant de se lever, il s’était mis à rire, provoquant chez le jeune femme un rire gêné et amusé à la fois. Elle avait toujours été maladroite et pourtant si téméraire… L’orgueil… Gwen aimait être indépendante, cela montrait une grande force, selon elle. Mais bon, cela lui attirait toujours des mésaventures, graves ou moins graves.

La belle blonde se mit à fondre intérieurement lorsqu’il lui parla. Un médecin! Un bienfaiteur pour l’humanité oui! Avec ce joli sourire et ce regard, il devait en attirer des malades… Oui enfin des femmes avec des «grippes» sûrement. Bien qu’elle mourrait d’envie de lui dire qu’elle s’était blessée, sa tête fit «non», alors que ses yeux ne le quittait plus.

«Non, ça va merci… Je suis okay, je crois.»

À quatre pattes, Gwen rassemblait ses livres alors que le bel inconnu lui prêtait main forte. Quelle gentillesse! Il l’aida à se relever, l’étudiante murmura un «merci» un peu confus. Elle en pinçait vraiment pour cet homme, elle ne pouvait le nier.

*Voyons, qu’est-ce qui te prends Gwen! Ressaisi-toi! Tu ne dois pas avoir l’air d’une petite idiote…*

La belle demoiselle remarqua que le médecin avait rougi. Un bon signe en sa faveur, supposa-t-elle. Contente de lui faire un peu d’effet, Gwen lui offrit un charmant sourire.

«Oh je n’avais pas de place encore.. Si cela ne vous gêne pas, je pourrais prendre un petit coin de la vôtre? De plus, mes livres y sont déjà.» Dit-elle avec un petit sourire amusé.

Elle plongea son regard clair directement dans les yeux de l’indien, cherchant à trouver une réaction quelconque, n’importe quoi lui indiquant qu’elle avait peut-être des chances de faire plus amples connaissances…

«Je serai muette, je ne vous dérangerai pas, promis!» Susurra-t-elle, avec cette petite voix polie et absolument adorable. Cette même voix qu’elle utilisait pour les citoyens craquent pour les causes qu’elle soutenait avec tant de passion.

La jolie blonde semblait ne s'être pas blessée. Honteux que cette idée ait pu l'effleurer il se dit qu'il eut mieux valu, oh pas une blessure grave, un petit quelque chose de rien du tout, enfin de quoi lui faire reprendre une attitude toute professionnelle qu'il aurait su gérer sans problème, alors que là il ne savait plus quelle contenance adopter.

Le pire était à venir… Lui ayant demandé où il pourrait l'aider à transporter ses livres elle déclara qu'elle n'avait pas de place encore et qu'elle comptait s'installer à sa table.
Saisi, il la dévisagea sans répondre avant de détourner les yeux d'un air gêné. Il avait choisi une table éloignée de celle des autres dans l'espoir de rester solitaire, et elle voulait squatter la sienne ! Là, c'était sûr, il serait assurément mal à l'aise et n'arriverait plus à se concentrer sur son travail !

Elle ajouta qu'elle resterait muette et qu'elle ne le dérangerait pas. Ce dont elle ne se rendait pas compte était que c'était sa seule présence qui allait le distraire de ses recherches. Pour peu qu'elle relève la tête et regarde dans sa direction il serait incapable de terminer ce qu'il avait entrepris….

Comment faire pour refuser poliment sans la vexer ? Une chose était sûre, il avait fait en sorte de rester écarté des autres et voulait le rester. Il allait lui dire non, tant pis si ça ne lui convenait pas !

Si vous voulez… bredouilla-t-il. Mais il faut que je travaille sérieusement… ajouta-t-il en matière d'excuses.

Eh bien pour un refus c'était réussi !!! Qu'est-ce qu'il lui avait pris, aussi, de faire l'inverse de ce qu'il venait de décider ? Par charité, sans doute, elle serait ici plus près des rayons qui l'intéressaient et si elle avait besoin d'autres livres il lui éviterait ainsi de traverser toute la bibliothèque avec les bras chargés.

Fuyant son regard il se rassit et se plongea à nouveau dans son ouvrage, feignant de ne pas prêter attention au fait qu'elle s'installait devant lui.
Elle ne parlait pas, comme promis, et après avoir relu un passage qu'il n'avait fait que survoler il leva involontairement les yeux sur elle, profitant que son regard était baissé sur son livre, s'attardant sur les traits agréablement dessinés de son joli visage et la blondeur de ses cheveux.
Eh oui, il était indien et les blondes n'étaient pas légion dans sa famille, et cette couleur de cheveux avait le don d'attirer son regard, et c'était un regard d'homme cette fois, pas celui d'un médecin.

Il la vit bouger et détourna instantanément les yeux, craignant d'être surpris en train de la regarder.

Il se concentra à nouveau sur son livre, mais c'était de plus en plus difficile. Il n'avait même pas retenu ce qu'il venait de déchiffrer !

Gwen souriait gentiment à ce bel inconnu qui semblait très gêné par sa présence. Il avait un je-ne-sais-quoi d’adorable. Peut-être ce rosé qui colorait ses joues de malaise? Enfin bref, le médecin accepta qu’elle prenne place à sa table et la jeune femme eu un sourire radieux pour le remercier.

«Je vous laisse travailler promis!»

*Du moins pour les trente prochaines minutes.* Pensa-t-elle en rigolant intérieurement.

La blondinette s’installa à la table et ouvrit un de ses ouvrages qu’elle avait choisi. Dorothea Lange était une photo journaliste très connue de par le monde. Des photos touchantes, bouleversantes faisaient partie de ses œuvres artistiques et informatives à la fois. Une grande artiste.

Lisant rapidement les informations que l’ouvrage lui donnait, Gwen sortit un petit bloc-note rose et noir d’Hello Kitty ainsi qu’un crayon de plomb à l’effigie de ce petit chat blanc. Elle prenait des notes, dessinait tout en lisant. Elle se savait observée par l’homme assis en face d’elle, mais ne le montrait pas. Après tout, cela ne lui déplaisait pas le moins du monde! Elle en était même flattée.

Mais pour s’amuser un peu, la cheerleader décida de lever la tête. L’homme détourna rapidement le regard, embarrassé. Amusée, un sourire enfantin se dessina sur ses lèvres, faisant ressortir ses pommettes. L’universitaire referma son livre et se leva, histoire d’aller le ranger et d,en chercher un nouveau sur cette même photographe journalistique. Elle en profita au passage pour effleurer l’homme de son avant-bras, discrètement. Cela avait l’air très naturel, avec aucune intention, mais il en était autrement dans la tête de la demoiselle.

La jeune femme revint avec un autre ouvrage à la table, elle prit place discrètement, faisant tout de même preuve de discrétion à l’égard du médecin. Il avait droit de travailler un peu après tout!

La jeune femme se replongea dans sa lecture prenait des notes, mais se mit à penser. Ses songes se dirigeaient vers la montagne de projets à accomplir, la tonne de réunions communautaires… Et son cœur se mit à battre plus vite. Le stress s’emparait de son corps. Elle agitait nerveusement son crayon entre ses doigts, son pied battait une mesure inaudible mais presque démoniaque. Comme prise dans ce tourbillon de pensées négatives, elle ne contrôla plus ses doigts et son crayon vola… Jusque dans le livre de l’homme. Le rouge aux joues, elle baissa les yeux.

«Désolée, j’étais distraite…»

Kiran, le nez plongé dans son ouvrage, planta ses deux coudes sur la table et posa son front sur ses paumes, servant de support à cette tête qui se relevait involontairement pour jeter des regards furtifs sur la jeune fille qui partageait sa table. Au besoin il la tiendrait à deux mains pour que son regard reste fixé sur son livre plutôt que d'aller s'égarer quelques dizaines de centimètres plus loin !

Mais ses bonnes résolutions s'envolèrent lorsque la blondinette se leva et il sa suivit des yeux, déçu de constater qu'elle partait déjà.

Mais non, elle ne partait pas ! Elle avait laissé toutes ses affaires sur la table, elle allait simplement faire une autre recherche, certainement. Effectivement, elle se dirigea vers un autre rayonnage et passa près de lui, le frôlant au passage involontairement. Il tressaillit, évita le regard noisette et se concentra immédiatement sur les lignes imprimées, des mots qui avaient perdus leur sens, juste des tâches d'encre en forme de lettres sur une page blanche.

Il s'en voulut, mais il était totalement déconcentré et au lieu de lire il attendait qu'elle revienne s'asseoir.
Enfin elle revint prendre sa place et il resta la tête baissée, offrant le spectacle d'un homme studieux, ce qui ne correspondait pas du tout à la réalité.

*A quoi rime tout ça ? * se demanda-t-il, se morigénant et s'envoyant au diable. * Elle est beaucoup trop jeune pour toi et doit te prendre pour un vieux croûton, mieux, elle ne sait même pas que tu existes ! Pense à autre chose, idiot !*

Il se reprit et se replongea dans sa lecture, décidé à ne plus faire attention à elle quand soudain le stylo de la jeune étudiante vola et atterrit sur son livre.
Il sursauta…
*Tu es dans un de ces états de stress, mon vieux !*
…et releva son visage vers elle.

Ceci est à vous, je crois ? dit-il en lui tendant le stylo puis, se ravisant, quelque chose lui disant qu'il allait invariablement frôler ses doigts, il le reposa devant elle.

*Non mais, quelle phrase débile ! Elle va te prendre pour un crétin fini !*

Un autre que lui aurait profité de la situation pour entamer une conversation à mi-voix, se serait fait rappeler à l'ordre par la bibliothécaire et aurait proposé de terminer leur dialogue à l'extérieur, devant un café. Mais lui, Kiran, médecin diplômé, lui avait servi une platitude désolante et il se sentit furieux contre lui-même.

Il la regarda d'un air gêné, détourna les yeux et fixa la table, triturant son propre stylo.

Le… Il fait chaud ici… dit-il sans relever son regard. Je vais chercher une boisson au distributeur.
Je… Je vous rapporte quelque chose ?

*Lamentable… Mais alors là, franchement LAMENTABLE !!!*

La lecture. Un loisir tout a fait fabuleux et relaxant, diront certains. Mais pour Gwen et Kiran, cette activité semblait de plus en plus difficile à exercer, chacun pour des raisons personnelles. Du côté de Gwen, c’était le haut niveau de stress qui la déconcentrait, mais aussi le fait qu’elle aimait voir cet homme la regarder.

Elle termina de prendre des notes sur la photographe qu’elle avait commencé à analyser, referma l’ouvrage et en ouvrit un autre sur les photo journalistes en temps que guerre. Des images troublantes décoraient les pages, comme pour rappeler la souffrance et la terreur de la guerre. Gwen ne put qu’éviter ces images qui la rendaient si vulnérable et triste.

Afin de se changer les idées, elle tourna son regard vers le médecin. Il semblait lire à première vue. Gwen baissa de nouveau les yeux, un peu déçue qu’il ne la regarde plus. Mais bon, il lui avait dit qu’il voulait travailler sérieusement. Petite idiote!, pensa-t-elle. Tu te fais beaucoup trop de scénario, arrête ton cinéma!

Le médecin sursauta en voyant atterrir le crayon dans son livre. Il le déposa devant elle… Évidemment, il était mal à l’aise lorsqu’il s’agissait de contact physique. Un grand timide! Comme c’est mignon, songea-t-elle, déjà repartie dans ses scénarios…

«Oui, c’est à moi.»

Gwen reprit le crayon, trop lentement pour pouvoir frôler les doigts du médecin. La jeune étudiante se replongea dans sa lecture… Elle prenait des notes, raturait, dessinait tout en lisant, esquissant des diagrammes, des lignes du temps, les sourcils froncés à cause de la concentration dans laquelle elle s’était forcée à plonger.

Quelques instants plus tard, l’homme se levait. Il partait? Non il lui posa une question qui lui indiqua qu’il allait revenir. Avec un sourire adorable, elle lui répondit :

«Une bouteille d’eau, merci.»

Gwen attrapa son porte monnaie et lui tendit le montant exact pour une bouteille d’eau. Pas question qu’on lui paie quoi que ce soit, surtout lorsqu’il s’agissait d’un parfait inconnu, elle en aurait était trop mal à l’aise.

Lorsqu’il fut parti, la jeune femme appuya sa tête dans la paume de sa main… Il semblait de plus en plus indifférent. Zut! Qu’avait-elle fait de travers encore?! Gwen jeta un regard dans son petit bloc-notes pour se rendre compte qu’elle avait inconsciemment dessiné de petits cœurs dans la marge d’une de ses pages. Elle s’empressa de les effacer.

*Écervelée!*

Kiran partit à la vitesse de l'éclair chercher les boissons au distributeur qui se trouvait dans le couloir. Pourquoi courait-il aussi vite ? Parce qu'il avait une soif qui ne pouvait attendre ? Non ! … Encore qu'il eût la gorge sèche… Mais la véritable raison était qu'en prenant les pièces que lui tendait l'une après l'autre la jeune fille blonde elle avait frôlé sa main de ses doigts et qu'en détournant le regard ses yeux s'était posés sur son bloc-notes. Il avait aperçu alors une multitude de petits cœurs qu'elle y avait dessinés. Ces petits cœurs n'y étaient pas quand elle avait posé le bloc sur la table, il était prêt à le jurer !

Ce que ça signifiait exactement ? Rien sans doute, ou alors elle pensait à son petit ami… Mais l'espace d'une seconde il s'était imaginé qu'elle avait griffonné après l'avoir regardé…

Pff ! N'importe quoi ! Il savait qu'il plaisait aux femmes, mais celle-ci était à peine sortie de l'adolescence, et encore rien n'était moins sûr ! Il ne manquerait plus qu'il soit attiré par une fille de son âge ! Un beau scandale dans sa famille s'il débarquait un jour avec une fille de cet âge à son bras, ils ne comprendraient pas…

Bon, voilà qu'il était reparti dans ses rêves farfelus ! Comme si elle s'intéressait à lui, comme s'ils allaient sortir ensemble, comme s'il allait l'inviter un jour à dîner chez ses parents…
Kiran… C'est le médecin qui a besoin de se faire soigner !
Seulement elle était jolie, seulement elle avait les yeux clairs, seulement elle était blonde…

Planté devant l'appareil il sortit de ses pensées sans queue ni tête et introduisit les pièces avant de choisir les boissons. Il avait pris pour lui de l'eau, comme elle…

Prenant une grande inspiration (décidément, il était plus à l'aise avec les femmes de son âge, c'était le plus souvent elles qui prenaient les initiatives) il revint dans la salle et slaloma entre les tables avant de s'approcher de la sienne.
Posant la bouteille d'eau devant la blondinette, il ajouta une pièce à côté.

Vous m'aviez donné quelques centimes de trop… dit-il avec un sourire timide avant de se rasseoir devant elle.
Il porta le goulot à sa bouche et se désaltéra longuement avant de refermer ses livres comme sur un coup de tête.

Je n'arrive à rien, aujourd'hui… dit-il tout bas. Je crois que je vais aller prendre l'air… ou grignoter quelque chose au bistrot du coin…

Il alla reposer ses livres et resta, l'air incertain, à deux pas de la table. Hésitant un instant, il retourna s'asseoir devant sa bouteille d'eau qu'il termina de vider d'un trait.

*Tu attends quoi, là ? Qu'elle te dise "Je viens avec vous", ou "Ca me tenterait aussi…" ?
Nom d'un chien !!! Mais dis quelque chose !*

Heu… Est-ce que vous…

*Pff !*
*"Est-ce que vous voudriez venir déjeûner avec moi", ce n'est pas si difficile ! Grouille-toi !*

Hé bien, je… Est-ce que vous… avez l'heure ?