Minuit se lève (2)

Esméralda Scofield a écrit:: Après un court silence, Esse entendit de la bouche de son amant les mots qu’elle avait redoutés et à la fois espérés, bien qu’ils lui firent mal. Voulait-elle réellement rentrer chez son frère ?

Esse s’écarta et regarda Michael, avant de lui répondre sur une fois monotone et dépourvue de sentiments quelconques. Ni colère, ni tristesse, seulement la voix d’une fille ivre qui avait laissé son âme dans la bouteille.

On peut dire que les adieux auront été plus agréables que les retrouvailles… dommage, d’habitude, c’est l’inverse ! Je voudrais rentrer chez Matt, maintenant, mais il va falloir que tu m’accompagnes, je ne pourrai jamais tenir debout, sauf si tu veux me laisser dans la rue dans cette tenue…
Tu sais Michael, ceci n’était que ce qui aurait dû se passer quand je suis revenue tout à l’heure, le regard coupable et manquant cruellement de conviction en moins ! Je n’ai pas oublié ce que j’ai dit à propos de ta mère, je le pense. Tu n’es pas l’homme que j’ai accepté d’épouser, c’était lui que je voulais et personne d’autre… Maintenant aurais-tu l’obligeance de m’amener là-haut ? dit-elle en détournant le regard pour se pencher vers la portière afin de l’ouvrir pour sortir dans la fraîcheur du soir.

*"me laisser dans la rue dans cette tenue…"*

Michael la maintint par le bras pour l'empêcher de descendre, il avait envie de parler, lui aussi, au moins se justifier.

*Bon sang, Esse, tu ne vas pas m'en vouloir pour ça ! Je suis toujours le même, enfin, qu'est-ce que tu me reproches ?* pensa Mika, attendant la fin de son discours pour le lui dire à haute voix.

Vexé, Micka regardait Esse d'un air renfrogné. Ce n'était certainement pas grave, elle avait trop bu et disait n'importe quoi. Et puis manifestement elle voulait rester dans sa colère, celle qu'elle avait piquée quand elle s'était sauvée de l'appartement il ne savait trop pourquoi. Elle aurait du comprendre qu'il ne l'attendait pas, ne la croyant plus de ce monde. Tout ça parce qu'il avait voulu déboucher le champagne pour fêter son retour ? Allez comprendre les femmes… !

Bon… Elle avait sans doute raison, il fallait qu'elle cuve et elle serait bien chez son frère, mais Micka aurait tout de même bien aimé la ramener avec lui à la maison. Ce qu'ils venaient de vivre dans cette voiture n'était qu'un avant goût de ce qu'ils pourraient vivre encore, des retrouvailles parfaites si ce n'est qu'Esse n'était pas à jeun...

Seulement, elle continuait à pérorer et elle répéta la seule chose qu'elle n'aurait jamais du dire : elle lui parla de sa mère… De la vexation il passa à la fureur. Sa mère avait été ce qu'il avait aimé le plus au monde avant elle et Matt et il n'avait jamais réussi à se consoler de sa disparition. Sa gorge se serra et une colère froide, bien utile pour masquer ses sentiments malgré la cassure soudaine de sa voix, s'empara de lui. C'est avec un mépris qu'il n'avait jusqu'alors jamais éprouvé pour son Esméralda qu'il la considéra, dégoûté.
Ce regard s'attarda sur elle, puis sans un mot il baissa les yeux, vérifia sa tenue, passa ses doigts dans ses cheveux pour les discipliner, jeta un :

Tu as changé, Esse… Jamais auparavant tu ne te serais félicitée de la mort de mes parents, et je vois que tu ne regrettes pas tes paroles…

…puis descendit de voiture.

Obsédé par cette petite phrase qu'elle lui avait lancée à son retour de Grèce, "heureusement que tes parents sont morts" qui l'avait tant choqué mais qu'il avait mise sur le compte de la colère, il fit le tour du véhicule, vérifia les fermetures des portières avant d'ouvrir celle d'Esméralda. Il lui tendit la main pour l'aider à descendre, muet et les sourcils froncés, et la soutint jusqu'à la porte d'entrée de l'immeuble.

Un bras sous les aisselles d'Esse, il l'amena jusqu'à l'ascenseur. L'ascension ne dura qu'une minute pendant laquelle ils s'ignorèrent et enfin ils se présentèrent à la porte de l'appartement. Michael sonna et ils attendirent un bon moment avant qu'ils entendent un bruit de clés de l'intérieur...

Dans la petite entrée se tenait Matt qui les accueillit avec un sourire.

Michael ! Je suis content de te voir !!! s’exclama-t-il. Qu’est-ce que vous faites là tous les deux, vous n’avez pas des retrouvailles à organiser ? dit-il en riant et en s’effaçant pour les laisser passer, un sourire aux lèvres, les taquinant gentiment.

Elle est saoule… grommela Micka à la cantonade d'un air faussement détaché. Je crois que le mieux est qu'elle dorme là. De toute façon, elle considère que sa place n'est plus chez nous, elle vient de rompre nos fiançailles.

Bonne nuit, et désolé de vous avoir dérangés, je sais qu'on aurait pu trouver un autre moment… ajouta-t-il en livrant Esse à Matt sidéré, qui la soutint. Moi je ne reste pas.

Il se détourna en jetant un bref regard à Matt, infiniment heureux de le voir bien vivant et en bonne santé, et traversa le palier pour descendre les escaliers car l'ascenseur venait d'être appelé au rez-de-chaussée. Pas envie de l'attendre sous le regard des autres.

Matt s’était levé et avait abandonné à regret celle qu’il venait à peine de retrouver. Qui pouvait bien sonner à une heure pareille ? Soit c’était quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas et qui n’avait aucune éducation, soit c’était quelqu’un qu’ils connaissaient et dans ce cas, il n’avait aucune considération pour leurs retrouvailles ! Quoi qu’il en soit, Matt était bougon et inquiet à la fois, craignant qu’il ne se soit passé quelque chose de grave.

Passer plusieurs mois dans un pays éloigné et passer pour mort pendant tout ce temps avaient eu le don de le rendre encore plus inquiet qu’il n’était d’ordinaire et il lui faudrait un petit temps avant de pouvoir être à nouveau serein. Pour l’instant, il craignait encore d’être séparé de Syd, de sa famille, Micka compris. Il n’était pas encore remis de son périple, quoi de plus normal puisque cela faisait à peine quelques heures qu’il était de retour chez lui parmi les siens. A peine levé, Sydney lui manquait déjà et il avait envie de la retrouver. Mais il fallait qu’il aille ouvrir.

Il se traina donc jusqu’à la porte d’entrée après avoir revêtit un caleçon et ouvrit la porte. Quelle ne fut pas sa surprise de voir sa sœur et Micka face à lui. Heureux de revoir son meilleur ami bien qu’il aurait aussi aimé garder ses premières heures avec Sydney - tout en sachant que Michael était lui aussi chargé de retrouvailles, bien sûr - il les accueillit avec bonne humeur, curieux tout de même de voir la tenue de sa sœur et leurs têtes respectives. Ils avaient l’air de sortir d’un enterrement !

Il s’était écarté pour les laisser entrer mais ils restèrent à la porte. Esse ne dit pas un mot et Michael grommela qu’elle était saoule en essayant d’arborer un ton détaché pourtant guère convaincant. Matt fronça les sourcils tandis que Michael continuait. Il entendit Sydney bouger dans la chambre et se demanda si elle allait les rejoindre. Sans doute que oui, après avoir entendu de qui il s’agissait ! Esse avait dû lui manquer énormément aussi, elle était une de ses meilleures amies en plus d’être sa belle-sœur.

Micka continua donc, disant qu’elle serait mieux ici, avec Matt et Syd, que sa place était ici parce que de toute évidence elle ne pensait pas que c’était chez eux, et il termina en disant qu’elle avait rompu leurs fiançailles. Matt fut stupéfait et resta là, pantelant, la bouche légèrement entrouverte sous le choc de ce qu’il venait d’entendre.

Il aurait voulu dire quelque chose mais Micka ne lui en laissa pas le temps. Il lui confia sa sœur, leur souhaita une bonne nuit en s’excusant de les déranger en pareil moment, puis termina en disant qu’il ne restait pas.
Il tourna les talons après un bref regard et partit vers les escaliers sans un mot de plus. Matt, effectivement sidéré, considéra sa sœur un instant, la conduisit jusqu’au canapé rapidement puis courut vers Michael qui avait déjà descendu quelques marches, apparemment décidé à ne pas rester une minute de plus en leur compagnie.

Micka !! Micka attends ! Enfin !!! cria Matt, peu soucieux de réveiller tout l’immeuble.

Il rattrapa son meilleur ami et le retint par le bras, s’installant sur la marche au dessus de lui.

Qu’est-ce qui se passe bon sang ? Qu’est-ce que tu racontes ? Elle n’a pas pu rompre, vous venez de vous retrouver !!! Puis reste, je suis content de te voir moi ! C’est quoi toute cette histoire ? Vous vous êtes encore disputés ? Ecoute, c’est pas la première fois, puis vous choisissez toujours les pires moments, allez viens, tu sais bien que ça va s’arranger… insista-t-il en essayant de ramener son ami vers le haut pour rejoindre l’appartement.

Être en caleçon dans la cage d’escaliers de l’immeuble en train de crier et d’étaler sa vie devant tout le monde n’était pas encore une vocation pour Mathias…

Matt le rappelait, et il était si heureux de le revoir vivant que malgré sa colère, Micka s'arrêta. Mais il ne bougea pas tout de suite, restant le dos tourné comme quelqu'un qui s'apprête à repartir mais hésite à le faire.

Son ami ne comprenait pas et le retenait par le bras, tentant de le faire remonter. Il lui dit alors qu'il était content de le voir et Michael se retourna enfin pour le regarder. Comme toujours, ou presque, ils étaient sur la même longueur d'ondes. Maintenant Matthias demandait des explications, disant que ce n'était pas la première fois qu'ils se disputaient, Esse et lui, et que ça allait s'arranger.
Indécis, le fait d'entendre du bruit derrière une porte l'incita à suivre Matt qui ne devait sûrement pas tenir à se faire voir en caleçon dans l'escalier, et il remonta vers l'appartement pour y entrer sans un regard pour Esméralda. Maintenant qu'il l'avait livrée elle pouvait bien faire ce qu'elle voulait !

Il s'assit sans façons sur le canapé et regarda son ami, s'apprêtant à lui demander s'ils n'allaient pas réveiller Sydney. Mais il l'entendit bouger dans la chambre, sans doute était-elle en train de se vêtir, et elle n'allait sans doute pas tarder à arriver. Micka en fut confus, ce n'était guerre le moment de venir les déranger, mais de toute façon il n'avait pas le choix.

Matt, t'as pas un truc fort à me servir ? Je crois que j'en ai besoin… marmonna-t-il en se penchant en avant, les coudes sur les genoux, pour soutenir sa tête en plongeant les mains dans ses cheveux.

Il resta un moment immobile, puis se redressa et jeta un coup d'œil à Esse avant de suivre Matt dans la cuisine. En fait, tant qu'à parler, il préférait le faire en tête à tête.

Cette fois c'est fini, Matt ! Elle a rompu, c'est définitif, tout ça parce que j'ai proposé d'ouvrir une bouteille pour fêter son retour. Elle l'a pris de travers, j'ai même pas compris pourquoi ! Et maintenant, après ce qu'elle vient de me dire, je ne suis pas sûr d'avoir encore envie de recoller les morceaux !

S'appuyant contre le chambranle de la porte il continua, déversant sa rancœur.

Elle m'avait dit ce soir qu'elle était contente que ma mère soit morte, et elle vient de le répéter… La première fois j'ai mis ça sur le compte de la colère bien que je t'avoue que ça m'ait choqué, mais là c'est une fois de trop ! Si on reste ensemble je me souviendrai toujours qu'elle a été capable de prononcer cette phrase… De son côté, elle me reprochera d'être sorti pendant son absence, parce que… je la croyais morte, Matt, tu comprends ? C'est tout ce que j'ai trouvé pour sortir de la déprime où j'étais… Demande à Syd, elle sait, elle. J'ai juste essayé de me raccrocher aux branches pour pas crever…

Micka entendit des pas et vit Sydney qui passait dans le couloir, allant rejoindre Esméralda. Il grimaça un sourire peu convaincant. Non pas qu'il en veuille à la jeune femme, il l'adorait d'autant plus qu'il savait qu'elle rendait Matt heureux, mais les circonstances présentes ne l'incitaient pas beaucoup à sourire, le cœur n'y était pas.
Rassuré toutefois de savoir qu'Esse était entre bonnes mains, bien qu'il voulait se persuader qu'il s'en moquait, il se retourna à nouveau vers son ami et le regarda l'air interrogateur, curieux de savoir ce qu'il pensait de tout ça.
De toute façon, cette fois il en était sûr, Matt n'arriverait pas à les réconcilier. Ils avaient maintenant chacun quelque chose à se reprocher, des actes ou des paroles qu'ils pourraient difficilement se pardonner…

Micka avait hésité à s’arrêter mais l’avait finalement fait. Matt comprenait difficilement sa réaction. Après tout, ils ne s’étaient pas vus depuis plusieurs mois maintenant et Micka avait dû le croire mort, lui aussi. De son côté, Mathias avait été très inquiet de la réaction de son meilleur ami. En revenant, il avait pensé que les choses seraient presque idylliques pour les deux couples mais manifestement, ce n’était pas le cas. Esse et son meilleur ami avaient réussi à se disputer après plusieurs mois de séparation. Ces deux-là n’en loupaient décidemment pas une, se dit-il. Il était loin d’imaginer jusqu’où cela pourrait aller et encore moins que sa sœur et Micka ne se marieraient finalement jamais. Ce fait était intégré à présent dans l’esprit du grand frère protecteur et il ne pouvait plus espérer qu’une chose pareille se produise, bien trop heureux que sa sœur soit entre les mains de son meilleur ami, celui en qui il avait le plus confiance.

Finalement Micka accepta de suivre Matt et ils rentrèrent tous les deux dans l’appartement. Micka se laissa aller dans le canapé et Sydney n’allait pas tarder à sortir, sans doute occupée à se montrer dans une tenue plus correcte, bien que les retrouvailles chaleureuses ne fussent un secret pour personne.
Michael, ainsi installé, demanda à son meilleur ami s’il n’avait pas quelque chose de fort à lui servir, arguant qu’il en avait bien besoin et l’inquiétude se lut alors sur le visage de Mathias. Ça avait l’air sérieux, bien trop sérieux pour des retrouvailles.
Matt se dirigea vers la cuisine et y fut rejoint peu de temps après par son ami. Ce dernier se mit à lui raconter, expliquant que c’était bel et bien terminé entre eux deux. Matt en eut un pincement au cœur et se tourna vers son meilleur ami, l’observant et lisant sur son visage ce qu’il ne voulait pas lire.
Il détailla rapidement la scène, disant qu’il ne comprenait pas, pas plus que Matt d’ailleurs, et finit en répliquant qu’avec ce qu’elle lui avait dit, il n’était pas sûr de vouloir encore d’elle… Le grand frère fronça les sourcils, soucieux et inquiet de ce que ces paroles pouvaient bien signifier. Il n’eut pas à attendre. Micka ouvrit son sac et le déversa.

Ainsi, Esse avait dit à Michael qu’elle était contente que sa mère soit morte. A deux reprises, qui plus est. Matt fut abasourdi par une telle chose. Il connaissait très bien sa sœur et savait que pour en venir à être méchante, il fallait qu’elle soit blessée au plus haut point. Elle était d’une nature altruiste et tâchait toujours de réconforter les autres et de les comprendre. La méchanceté ne faisait pas partie d’elle, sauf quand on la poussait à bout.
Malgré tout, Matt devait entendre les deux versions pour se faire une idée. Celle de Micka lui faisait mal au cœur.

Il lui expliqua qu’il aurait du mal à lui pardonner ces paroles. Puis il en vint à expliquer ce que Esse ne pourrait lui pardonner, elle. Il raconta à Matt qu’elle lui reprochait d’être sorti pendant leur disparition. Micka prit un ton défensif à l’égard de son ami, ce qui mit la puce à l’oreille de ce dernier. Qu’entendait-il par sortir exactement ? Il la croyait morte, certes… et ? Il voulait se sortir de la déprime, disait-il… Matt avait peur de comprendre et ne savait plus où se situer. Il ne pouvait décemment pas approuver Esse d’avoir dit une chose aussi horrible.
Mais il était loin d’approuver Micka s’il comprenait bien ce qu’il entendait. Si Micka avait, en l’espace de quelques mois, remplacé Esse, soi disant pour ne pas « crever », jamais Matt ne pourrait se mettre de son côté car sa petite sœur était la première personne qu’il défendait, surtout si on la remplaçait en si peu de temps !

Les rôles auraient été inversés, jamais Matt n’aurait eu l’idée de courir les filles. Jamais il n’aurait eu l’idée de remplacer Sydney. De la « tromper » aussi rapidement. Micka semblait avoir fait son deuil d’Esse d’une bien drôle de façon que Matt n’approuvait pas du tout !
Tous deux se tournèrent vers Sydney qui passa dans le couloir et alla directement rejoindre Esse, toujours dans le canapé. Elle devait somnoler ou dormir tout à fait, maintenant, saoule comme elle était.

Matt soupira et tourna le dos à son ami pendant qu’il lui versait un verre. Il était en colère, mais également dans l’incompréhension totale. Micka avait-il réellement remplacé Esse ? L’avait-il oubliée en se noyant dans l’alcool et les flirts ? Si tel était le cas, Matt comprenait la réaction de sa sœur. Leur relation à tous les deux avait été compliquée depuis le début et Esse avait beaucoup souffert, au même titre que Micka, mais elle était fragilisée par des épreuves que la vie lui avait fait subir. Matt comprenait parfaitement qu’elle n’ait pas supporté cette incartade de la part de son fiancé après le calvaire qu’ils avaient tous vécu. Et après qu’il l’ait trompée une fois déjà.
Toutefois, il ne pouvait supporter l’idée qu’elle ait dit une chose pareille à son ami, non plus. Il ne comprenait pas ce geste, aussi en colère eut-elle été. Cet acte était cruel et dénué de sens. Chacun, dans cette famille arrangée, souhaitait que les parents de Micka soient encore là. D’un autre côté, s’ils avaient été là, sans doute les relations des uns et des autres n’auraient pas été si proches. Mais ce n’était pas une excuse.

Plongé dans ses réflexions, Matt mit un moment avant de se retourner et de faire face à son ami. Son visage dur ne présageait rien de bon.

Je suis loin d’approuver Esse pour ce qu’elle t’a dit, Micka, mais… si elle l’a fait, c’est qu’elle a beaucoup souffert, sinon jamais elle n’aurait été capable de te dire une chose pareille. Qu’est-ce que tu as fait, exactement, pendant notre absence ? Tu es sorti avec d’autres filles ? Tu as une nouvelle petite amie ? Quoi Micka ? Que lui as-tu fait pour qu’elle en vienne à une chose pareille ? Ma sœur n’est pas méchante pour un sou, il lui faut une bonne raison pour en être arrivée là ! Tu ne crois pas qu’elle a assez souffert, dans sa vie ? Et ne me dis pas que tu la croyais morte ! Syd aussi me croyait mort, elle ne m’a pas trompé ! Si j’avais été à ta place, jamais je n’aurais pu aller avec d’autres filles aussi rapidement ! Il y a mille façons de survivre, Micka, pourquoi tu as choisi celle-là ? Pourquoi tu lui fais du mal bon sang ? Tu veux qu’elle essaye encore ?!

La voix de Matt se brisa sur la fin de sa phrase. Tous deux savaient à quoi il faisait allusion. Car tous deux craignaient en permanence qu’Esse ne replonge. Et c’était bien parti…

Matt était en train de prendre le parti d'Esse, comme à son habitude. Micka savait qu'il avait des torts, mais de là à lui mettre tout sur le dos et de justifier les paroles de sa sœur… C'est d'un air buté qu'il répondit.

Il y a des choses qu'on ne dit pas, Matt… Tu es en train de m'affirmer que lorsqu'on souffre toute chose est bonne à dire et qu'on ne contrôle plus ses propos ? Une chance que je sois de la même couleur de peau ou de la même religion, alors, sinon j'aurais reçu ça dans les dents…ça aurait été au moins préférable à que ce que j'ai entendu…

Maintenant…

Michael prit le verre d'alcool des mains de Matt et avala deux larges lampées pour se donner du courage.

Ce que j'ai fait pendant que je croyais ne jamais la revoir ? Tu t'en doutes bien, Matt, ne pose pas une question dont tu connais déjà la réponse…
J'ai cru qu'elle était morte, que vous étiez morts tous les deux. Je me suis laissé aller, au début. Emmuré dans mon chagrin je ne voulais voir personne… Quand j'ai touché le fond, un soir où j'avais tellement bu que j'ai failli mettre le feu à l'appartement, je me suis juré de me reprendre en mains.
Je suis ressorti. Un peu, au début, j'avais du mal à communiquer. Puis un soir une fille a su me parler, elle a compris dans quel état d'esprit j'étais. Elle a un peu joué les Mère Thérésa au début, et je l'ai revue, sa conversation était agréable et sa présence rassurante...
Un soir… un soir elle a entrepris de me consoler, sentant que j'avais besoin de tendresse et je ne l'ai pas repoussée. Voilà, je plaide coupable, Matt… Malgré tout, après cette nuit là j'ai coupé les ponts, justement parce que j'étais incapable d'avoir une relation sérieuse avec une fille qui n'était pas Esse. J'ai continué à sortir, j'ai papillonné, mais sans m'attacher, ça m'était impossible. Je ne l'ai pas "remplacée" dans le sens où tu l'entends, Mathias… Et je ne l'ai certes pas trompée : on ne trompe pas une morte…
Je n'ai pas cherché à lui faire du mal, je ne lui ai rien dit et ne l'aurais sans doute jamais fait. Je ne sais pas comment elle a deviné...

Je ne cherche pas à me trouver d'excuses… conclut-il enfin avec lassitude. Simplement je te devais la vérité.

Que pouvait-il dire de plus ? Son ami avait les sourcils froncés et son regard des mauvais jours. Malgré tout, Micka avait tenu à s'expliquer, par honnêteté envers celui à qui il n'avait jamais menti, même au risque qu'un froid s'installe entre eux.

Il était évident pour lui qu'il ne souhaitait pas qu'Esméralda replonge, d'autant qu'il avait bien cru dans la voiture quelques minutes plus tôt que tout était arrangé entre eux. Michael s'était conduit naturellement avec elle, elle était là, bien vivante, il était heureux de la retrouver et le lui avait prouvé. Les filles de passage qui avaient épongé son désespoir il n'en avait fichtrement rien à faire…

Maintenant, toutefois, il y avait une barrière entre eux : les actes qu'il avait commis en son absence et qu'elle avait devinés il ne savait comment, et de son côté une petite phrase choquante et absolument pas regrettée qui était gravée dans son esprit et n'en sortirait sans doute jamais.
Il soupira et avala le reste d'alcool d'un trait, puis reposa le verre sur un comptoir.

J'imagine que tu ne tiens pas à ce que je prolonge ma visite ? Je rentre chez moi, Matt. Et quoi que tu puisses en penser, vous y êtes les bienvenus, tous les trois…

Il posa brièvement la main sur l'épaule de Matt, faillit dire quelque chose puis se ravisa et sortit de la cuisine. Dans le salon il adressa un sourire triste à Sydney, s'arrêta quelques secondes pour regarder Esse blottie dans les bras de son amie puis se dirigea rapidement vers la porte d'entrée.
La refermant doucement derrière lui, il s'engouffra dans l'escalier, l'estomac serré.
Il venait de perdre Esse une troisième fois, et celle-ci semblait être la bonne. Allait-il perdre aussi son meilleur ami ?

La bataille entre les deux amis pointait le bout de son nez. Ce que venait de dire Matt ne plut pas à Micka, bien évidemment. C'est sur un ton buté et vexé que ce dernier répondit à son meilleur.
Il argua qu'il y avait des choses qu'on ne disait pas - cela était vrai, Matt devait le reconnaitre - puis s'avança dans des propos que Mathias jugea cette fois très hors sujet et il fronça les sourcils, sentant la moutarde lui monter au nez, l'inquiétude aidant. Il prétendit qu'il aurait pu se prendre des remarques racistes dans la figure s'il avait été différent, que c'était la même chose pour lui... Oui, ce qu'avait dit Esse était dur. Mais il était clair qu'elle n'en pensait pas un mot ! Comment Micka pouvait-il penser qu'Esse ait une once de méchanceté en elle... elle était saoule, ne comprenait-il donc rien ? Pourtant, se dit Micka d'un air renfrogné, d'après ce qu'il comprenait de plus en plus, Micka devrait savoir que lorsqu'on a bu, on n'est plus maître de ses actes...

Micka poursuivit, racontant ce qu'il avait fait pendant l'absence du frère et de la sœur. C'était sans doute tout ce qu'il n'aurait pas dû dire, car il donnait les armes à Micka pour mener leur amitié vers une dispute qui risquait bien d'avoir de lourdes conséquences.
« On ne trompe pas une morte »... mais Esse n'était pas morte. Et bien sûr, que l'on pouvait tromper un mort... si les sentiments vous quittent, c'est une trahison, n'est-ce pas ? Toutes les paroles de Micka tournaient dans la tête de Matt. Il se sentait de plus en plus dégoûté, il se sentait mal et il manquait d'air. Comme si c'était lui qu'on venait de tromper. Simplement parce qu'il craignait plus que tout les conséquences de ce qu'il entendait ce soir. Sa petite sœur souffrait et il savait désormais ce qu'elle était capable de faire lorsque c'était le cas. Il ne le savait que trop bien.

Micka, sentant probablement l'orage arriver, acheva son verre d'une traite et prit congé de son ami. Il insista sur le fait que malgré les évènements, tous trois étaient bienvenus chez Micka, parce qu'il ne voulait apparemment pas les perdre. Certes... Mais Matt ne voyait pas cela de la même façon. Il était en colère ce soir. En colère, mais surtout, effrayé. Et cela le rendait... cynique, agressif, peut-être même méchant.
Le temps qu'il mette ses idées en place, Micka était déjà parti. Il mit un moment à réagir et finit par le poursuivre pour le rejoindre dans la rue. Il l'interpella, d'une voix qui n'annonçait rien de bon.

Tu devrais donc savoir mieux que quiconque que lorsqu'on boit Micka, on ne sait plus ce que l'on fait, pas vrai ? Ce n'est pas ce que tu vas arguer pour justifier de ce que tu as fait pendant que tu nous croyais morts ? Apparemment, ça t'a bien arrangé qu'on ne soit pas blessés mais « morts » ! Au moins, tu avais une bonne excuse pour faire enfin ce que tu te savais incapable de faire depuis le début ! Finalement tu devrais nous remercier... on a fait ressortir ce que tu es vraiment, toi qui te posais des questions, maintenant tu es fixé !

Se plaçant bien en face de Micka, il continua.

Tu as voulu faire croire à tout le monde que tu étais l'homme d'une seule femme, mais la vérité, c'est que tu es incapable de te fixer, parce que tu es sans cesse insatisfait ! Tu as toujours été comme ça, Micka, tu n'as pas changé. Au moindre obstacle, tu dérapes ! Tu veux que je te dise ? Je ne suis pas fier de ce qu'Esméralda t'a dit, et personnellement, je ne le pense pas, d'ailleurs je suis sûr qu'elle non plus. Mais ça a au moins le mérite de te séparer complètement d'elle... et c'est le meilleur que je peux lui souhaiter aujourd'hui. Tu la fais souffrir, sans doute malgré toi... mais tu es incapable de la rendre heureuse.
Tu comptes nous inviter à dîner ? Laisse tomber Micka, va t'amuser, va satisfaire tes envies... et oublie la famille Scofield pendant quelques temps tu veux ? Ça vaut mieux pour tout le monde !

Une boule à l'estomac, le jeune homme regarda son « ami ». Voilà que lui aussi se mettait à dire des choses qui dépassaient sa pensée. Mais il était en colère, triste, anxieux, et il ne supporterait pas que sa sœur souffre encore. Il fallait qu'elle soit heureuse, maintenant. Et aux côtés de Micka, c'était manifestement impossible. Par leur faute à tous les deux. Ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre...

Il vaut mieux que tu t'en ailles maintenant, en effet. Continue comme si nous étions vraiment morts... il me semble que ta vie était bien plus palpitante et bien plus simple, pas vrai ?

Mathias n'attendit pas de réponse, une envie de frapper Micka le démangeait, pour la simple raison qu'il avait besoin de se défouler et de sortir sa rage. D'ailleurs, si Micka prenait les devants, cela ne l'étonnerait pas, il s'y attendait. Et peut-être bien que c'était ce dont ils avaient besoin, tous les deux, avant de remettre les pendules à l'heure, un jour.

Micka bouillait… Matt affirmait que lorsqu'on boit on ne sait plus ce qu'on fait, minimisant les actes d'Esse, comme de bien entendu… Il écouta et n'ouvrit pas la bouche, renfrogné et renfermé jusqu'à ce que Matt se taise à son tour, ses sourcils se rejoignant peu à peu au fil des minutes. A la dernière phrase de Matt, il finit par répondre, les narines palpitantes.

Tu prétends que l'alcool rend méchant ? Sans doute, tout dépend des individus en fait, moi ça me rend euphorique et me fait oublier mes soucis… Autrement dit, quand Esse est revenue à la maison elle avait bu ? Vous avez fêté votre retour pendant le trajet qui vous ramenait à Somber ? Parce que j'avoue que je ne m'explique toujours pas son comportement et son départ précipité de l'appartement… Je te rappelle qu'elle ne sait pas ce qui s'est passé pendant votre absence, je ne l'ai dit qu'à toi… J'ai voulu être honnête, parce que je n'ai jamais pris l'habitude de te mentir, mais je crois maintenant que j'ai eu tort. Jamais tu ne chercheras à me comprendre, ni même à tenter de peser le pour et le contre, tu ne me laisses aucune chance, tu fermes ta conscience et tu me juges. Le titre de frère ou de meilleur ami est pour le moins usurpé et c'est seulement maintenant que je m'en rends compte…

Ce n'était certes pas sous le coup de l'alcool que Micka parlait mais sous l'empire d'une colère intense et bien que sachant que ses paroles risquaient de devenir irréversibles il avait besoin de déverser sa bile, prenant le risque de provoquer une rupture définitive par une sorte de masochisme malsain, sachant pertinemment qu'il serait le premier à en souffrir plus tard.

Tu vas prétendre aussi que je n'ai eu aucun chagrin de savoir Esse morte ? Parce que tu peux jouer sur les mots en disant qu'elle est bien vivante, nul ne le savait à l'époque, pas plus Syd que moi. Tu crois qu'on n'a fait aucunes recherches, qu'on n'a pas cherché à se renseigner, qu'on ne s'est pas acharnés à glaner la plus petite information sur ce qui s'était passé en Grèce ? Les administrations vous ont fait passer pour morts, Mathias, MORTS !!! Et tu vas me reprocher maintenant d'avoir essayé de survivre à ça ? Il s'est passé du temps entre ces évènements et le moment où j'ai commencé à sortir du gouffre… Alors arrête de me dire que je suis un éternel insatisfait et de te persuader, parce que ça t'arrange, que je me suis mis à courir les filles pour le simple plaisir de sortir. "Micka nageait dans le bonheur, les petits oiseaux les fleurs, débarrassé d'Esse il s'envoyait en l'air dans la joie et la bonne humeur !"
Micka a cherché du réconfort, mais ça tu n'es pas apte à le comprendre, parce qu'il s'enfonçait dans la déprime, et qu'il a fini par réagir pour ne pas sombrer… comme un lâche, comme n'importe quel être trop faible pour se prendre en main…

Il n'ignorait pas qu'il signait son arrêt de mort en prononçant ces derniers mots, mais la rage qui l'étouffait le poussa à lancer cet ultime argument, une provocation dont les termes n'exprimaient pas le fonds de sa pensée mais qu'il savait toucher Matt au plus vif. Ce n'était certes pas une beuverie quelconque qui pouvait pousser Michael à dire ou faire n'importe quoi, c'était la colère, une rage telle que s'il ne faisait pas de mal à celui qui la provoquait c'était son propre couvercle qui allait sauter et qu'il allait mourir là, victime d'une hausse de tension ou d'une embolie cérébrale… au mieux.

Plus ou moins soulagé, il marqua un temps d'arrêt pour reprendre son souffle, dévisageant son alter ego qui n'affichait pas un visage des plus sereins. Puis il ne put résister à le narguer une dernière fois avant de s'éloigner. Il attrapa Matt par le devant de sa chemise et colla presque son nez au sien avant de gronder.

Ne t'avise pas de te considérer comme un pur, Mathias Scofield ! Tu as oublié nos sorties d'avant ? Je n'ai jamais été sauter une fille dans les toilettes pour satisfaire mes plus basses envies, moi ! Tu as oublié Helena Lake ? Tu as oublié ce que tu as fait à Sydney ? Ouais, sans doute, Saint Mathias, patron des hypocrites !
Oublier la famille Scofield ? Volontiers ! Je ne m'en porterai que mieux, effectivement ! Vous fréquenter n'est pas ce que j'aurai fait de mieux ! cracha-t-il les yeux flamboyants d'un air dégoûté, lâchant rageusement la chemise de Mathias d'un geste aussi brusque qu'il l'avait agrippée.

Il tourna le dos et s'éloigna, conscient que ça n'allait pas s'arrêter là. Mais il avait été au devant d'un conflit, à penser qu'il en avait besoin pour se sentir mieux ensuite. Il allait perdre Mathias, et Esse qu'il avait cru reconquérir, et ce sentiment était insupportable. Il l'aimait toujours, il n'avait jamais cessé de l'aimer, même en compagnie de filles dont il avait oublié le visage, et il lui fallait une petite mort pour essayer de surmonter tout ça, il avait presque besoin d'y laisser sa peau…

Micka se mit à débattre sur les effets de l'alcool d'un individu à l'autre et Matt leva les yeux au ciel. Il commençait à faire semblant de ne pas comprendre ce que Matt essayait de lui dire et arguait sur des points ridicules. Le jeune homme soupira, laissant Micka continuer son speech. Il se mit alors à insinuer qu'ils avaient fêté leur retour sans lui, que le comportement d'Esse n'avait aucune explication, rejetant encore et encore la faute sur la jeune femme, ce qui mettait Matt de plus en plus en colère. Il lui dit qu'il n'avait rien raconté sur ce qui s'était passé pendant leur absence, et qu'il ne comprenait pas comment elle pouvait savoir, et Matt leva les yeux au ciel. Comme si Esse était idiote et n'avait pas rapidement compris ! Ce n'était pas bien difficile à deviner pourtant, surtout connaissant Micka... Ce dernier continua, se défendant en disant qu'il avait voulu jouer l'honnêteté mais qu'il n'aurait pas dû, parce que Matt ne cherchait jamais à le comprendre et le jugeait. C'en était trop pour Matt qui fit un demi tour en marchant quelques pas, vraiment énervé. S'il ne laissait pas sa fureur sortir d'une façon ou d'une autre, il allait frapper Micka. La conclusion qu'il donna fit toutefois retourner Matt vers lui. Il ne méritait pas le titre de frère ou d'ami selon lui.

Il continua, disant qu'il ne pouvait savoir qu'ils étaient vivants, mais il insista sur le fait que Syd non plus ne le savait pas et cela mettait un point du côté de Matt. Ni Micka, ni Syd ne savaient. Et pourtant, seul l'un d'entre eux s'était mis à s'envoyer en l'air avec tout ce qui bougeait et qui ressemblait à une femme. Il voulait faire croire à son ami que coucher à droite et à gauche était sa façon de survivre, et il voulait en plus que Matt le croit et le félicite ? C'était ridicule ! Ses paroles n'avaient vraiment aucun sens pour Matt. Continuant, il dit qu'il avait simplement cherché du réconfort pour sortir du gouffre, pour réagir et ne pas sombrer. Et là, il ajouta une conclusion qui ne laissait aucun doute quant à la personne à qui il faisait référence. Selon lui, sombrer, c'était pour les lâches, ceux qui ne savaient pas se prendre en main.

Il n'en fallut pas plus à Matt pour se délester de toute la colère qu'il accumulait depuis le début du petit récit de cette ordure. Néanmoins, il n'eut pas le temps de réagir de la manière dont il le souhaitait, de la manière dont tout son corps le souhaitait. Micka empoigna sa chemise et vint se confronter de lui-même à lui, collant presque son nez au sien.
Il étala ses dernières cartes, arguant que Mathias n'était pas mieux que lui, parlant d'Héléna, de Sydney. Cela passa au dessus de Matt. Il en était encore aux dernières paroles de Micka concernant sa sœur. Jamais il ne les avalerait.
Micka termina enfin, disant qu'il les éviterait avec plaisir et lâcha enfin Mathias. Il se retourna et se mit à s'éloigner.

Bouillonnant, Matt marcha à grands pas en direction de celui qui jadis avait été son meilleur compagnon. L'agrippant par l'épaule violemment, il le fit se retourner et n'attendit pas pour lui en coller une droite directement.

Tu n'es qu'une espèce d'ordure, Michael Dean... le lâche n'est pas celui que l'on croit !

Sans attendre plus longtemps, il cogna son poing dans la figure de Micka une nouvelle fois, se défoulant, déchargeant toute cette colère accumulée.

As-tu seulement vécu le quart de ce qu'elle a vécu ? Comment peux-tu même imaginer ce qu'elle a traversé, espèce d'idiot ? La colère ne t'a jamais rendu intelligent, mais je finis par croire qu'elle t'a même bouffé le peu que tu avais !

Sans laisser de répit à son adversaire, il se mit à frapper Micka à plusieurs reprises, encore et encore, jusqu'à faire une pause, laissant le soin au jeune homme de rétorquer car il n'avait aucune envie de se battre seul. Il voulait se défouler et ne se sentirait mieux que s'il y avait une véritable bataille. Ils allaient se battre, il en avait besoin. Il avait besoin de donner des coups mais aussi d'en recevoir, non pour satisfaire un quelconque désir malsain, mais parce qu'il n'avait jamais éprouvé le moindre plaisir à se battre contre un faible... la bataille devait être égale.

En s'éloignant, Michael savait que Matt allait le suivre et réagir et il en eut la confirmation en entendant ses pas précipités. Ainsi prenait fin la belle amitié qui les avait liés jusque là et qui avait prit racine dans leurs jeunes années... Une boule au ventre, il continua son chemin, à la fois furieux et honteux des phrases qu'il lui avait lancées au visage dans le seul but de le blesser. Bien sûr il n'en croyait pas un mot, mais il lui avait fallu les dire afin que Matt en souffre, lui aussi. Maigre satisfaction, mais satisfaction tout de même, il ne pouvait pas s'en tirer comme ça…
Il ne se retourna pas, ignorant Mathias, mais c'est lui qui lui faire volte face en l'agrippant brutalement à l'épaule. Micka eut à peine le temps de croiser son regard où se lisait une rage incommensurable qu'il reçut un coup de poing au menton qui le fit tituber en arrière.

Tu n'es qu'une espèce d'ordure, Michael Dean... le lâche n'est pas celui que l'on croit ! éructa Matt, faisant un bond en avant pour lui expédier son poing une deuxième fois au visage, lui laissant cette fois une marque à la pommette.

Allez viens, viens, Scolfield, ne te prive pas, surtout… Ce n'est pas la première fois que tu me frappes quand je ne me défends pas ! lança-t-il pour le narguer, dans le besoin sans doute de payer les paroles prononcées.

L'ami bafoué insulta un Micka goguenard qui masquait sa douleur sous un air arrogant et je-m'en-foutiste, lui faisant remarquer ce qu'avait vécu Esse et le traitant d'idiot, puis le frappa à nouveau plusieurs fois.
Les coups pleuvaient maintenant n'importe où et Michael vit rouge : il avait reçu les premiers comme une sorte de pénitence, mais les derniers firent monter sa colère, peu disposé à encaisser plus longtemps. Profitant d'une provisoire accalmie, il se jeta à son tour sur Matt, faisant en même temps chuter une poubelle, ce qui produisit un vacarme infernal. Il ne s'y arrêta pas mais pensa en un éclair que les filles allaient être alertées par le bruit. Mais il n'eut pas le temps de lever les yeux vers la fenêtre que lui et son ami s'étaient empoignés et cognaient au petit bonheur.
Poussant violemment Matt vers le rideau métallique d'une boutique, il ne contribua pas à rétablir le silence.
Emportés par un désir commun d'en découdre, les deux garçons n'en étaient plus à ménager le sommeil des braves gens. Micka ne fut même pas effleuré par l'idée que l'un d'eux pouvait appeler la police et qu'il risquait de se retrouver au trou alors qu'il en était à peine sorti.

Les yeux enfoncés sous ses sourcils froncés, Micka faisait maintenant signe à son agresseur, en agitant le bout de ses doigts repliés, de venir le chercher.

Allez, Matt, un petit effort… Je ne suis pas encore mort…

Et sur le mode de "une cuillère pour papa, une cuillère pour maman", il enchaîna :

Un coup pour Esse, un coup pour Sydney… Un coup pour Helena ? Tu l'as oubliée, celle-là, ou ça t'arrange de ne pas t'en souvenir ? C'est facile, hein, de ne voir que d'un côté de la lorgnette ? Pauvre con !

Micka était maintenant épuisé par les coups reçus, mais sa hargne n'était pas tombée. Il balaya la jambe de Mathias d'un rapide mouvement du pied, mais comme ce dernier était cramponné à lui, ils roulèrent ensemble au sol. Il tenta de se mettre à califourchon et il le bourra de coups. Mais l'énergie n'y était plus et ses gestes étaient plus ralentis, sa respiration essoufflée. Elle fut totalement coupée quand il reçut un coup dans l'estomac. Lâchant Matt, il tomba sur le côté.

Comme de bien entendu, Micka avait provoqué Matt quand celui-ci avait commencé à le frapper. C'était dans son caractère, la colère le rendait ainsi, il était souvent bien trop fier pour réellement montrer qu'il était blessé. Il se cachait souvent derrière sa colère pour tout un tas de choses, comme ne pas démontrer ce qu'il ressentait, ou pour blesser. Tous ceux qui le connaissaient savaient qu'il fonctionnait comme cela, néanmoins, ce n'était pas toujours facile à accepter.
Dans le cas présent, cela importait peu car Mathias n'avait que faire de savoir s'il le frappait alors qu'il se ne défendait pas ou non. Il s'en fichait pas mal, il voulait juste déverser sa colère sur son « ami » pour tout ce qui les séparait ce soir. Il voulait juste montrer à sa manière qu'il était blessé, en colère, triste aussi. Toute cette situation ne l'enchantait pas. Il s'était habitué au couple que formaient son meilleur ami et sa sœur, et il s'y était bien fait. Il avait même éprouvé un certain bonheur pour eux et se réjouissait de les voir mariés. Aujourd'hui, il semblait bien que tout cela ait éclaté en poussière, et de manière définitive, cette fois. Ils en avaient eu des disputes, mais jamais de telles. Jamais au point de se dire des choses aussi horribles. Esse n'avait vraiment pas été tendre avec Micka et si Matt l'avait défendue en présence de son ami, il avait tout de même bien l'intention d'en toucher un mot à sa sœur lorsqu'elle serait en état. Il ne pouvait pas accepter qu'elle devienne comme ça et quoi que Michael ait fait et quoi que Matt ait pu lui dire, ce dernier n'approuvait vraiment pas et pensait que Micka ne méritait pas cela.

Toutefois, à cette minute précise, toute cette réflexion était bien loin, et ils avaient juste besoin de leurs poings pour se défouler. Aussi, Matt n'y avait pas été de main douce, et continuait de frapper, sans cesser, ayant besoin de faire payer à Micka les paroles qu'il avait eues à l'encontre de sa sœur. Ce dernier profita d'un moment de faiblesse de Matt pour riposter. Il se lança sur son « ami » et ils trébuchèrent tous deux dans un vacarme infernal. Ils ne tardèrent pas à faire pleuvoir les coups à nouveau, se battant comme deux gamins, ne lâchant pas prise et se foutant pas mal de qui pouvait bien les entendre. Le bruit métallique d'un rideau se fit entendre puis Micka provoqua à nouveau Matt, l'enjoignant à venir se battre, à continuer la bataille, disant qu'il n'était pas encore mort. Puis il continua, se moquant délibérément de Matt, ressortant des vieilles histoires et arguant qu'il ne voyait que de son point de vue sans jamais se remettre en question. La conclusion n'effleura même pas Matt qui en restait encore au fait que Micka n'était pas mort.

Pour une fois t'as raison, t'es pas encore mort, et c'est bien dommage ! ragea-t-il sans en penser un mot.

Micka lui coupa les jambes de la sienne mais ils tombèrent tous deux, puis il le bourra de coups. Matt répondit par un coup à l'estomac et Micka tomba à côté de lui, manifestement épuisé. Matt, à l'instar de son compagnon de bataille, avait du mal à respirer, épuisé. Non seulement il était déjà fatigué par le voyage, les émotions, les retrouvailles avec Sydney et le manque de sommeil, mais cette bataille en plus l'avait totalement épuisé. Ne bougeant même plus, il laissa tomber sa tête au sol et regarda le ciel un instant, le temps de reprendre son souffle. Le silence s'installa entre les deux garçons.
Matt sentit du sang couler de sa lèvre et s'essuya du revers de la main. Les filles avaient dû être alertées par le boucan, tout comme le reste des habitants du quartier. Quoi que Esse devait dormir, ou plutôt désoûler, vu l'état dans lequel elle était arrivée.
Toujours en colère, Matt finit par se relever, s'asseyant sur le trottoir, et jeta un œil à Micka. Les sourcils froncés, il réalisa que malgré la haine qu'il éprouvait envers lui, il s'était malgré tout... amusé. Il y avait longtemps qu'une telle bataille planait entre les deux garçons, mais jusque là, ils n'avaient pas été jusqu'au bout. Il fallait bien que ça éclate un jour.
Matt n'était pas certain cependant qu'il pouvait encore parler d'amitié après ce soir. Il venait plus que probablement de perdre son meilleur ami.
Se relevant, il soupira, jeta un dernier regard à Micka.

Les choses devraient en rester là... tout ça a été trop loin. Bonne chance, Micka.

Sans se retourner, Matt s'éloigna, se dirigeant vers l'entrée de l'immeuble. Une fois à l'intérieur, et lorsqu'il fut sûr de ne plus être vu, il regarda une dernière fois son ancien meilleur ami...

Côte à côte, ils étaient allongés sur le trottoir, comme lorsqu'ils étaient gamins et qu'ils regardaient passer les nuages en se racontant leurs secrets de garçons…

Ni l'un ni l'autre ne disait mot, peut-être de peur de rompre… de rompre quoi ? Tout semblait consommé, maintenant. Pourtant, couché sur le sol près de Matt, Micka ne pouvait s'empêcher de ressentir comme encore présente la forte complicité qu'ils avaient toujours eue. Malgré le fait que son ami d'enfance ait affirmé qu'il regrettait qu'il ne soit pas mort. Le pensait-il vraiment ? Michael n'en était pas sûr, pas plus qu'il était assuré que Matt avait cru toutes ses allégations formulées sous l'effet de la colère. Ils se connaissaient si bien…

Matt fini par se relever et s'assit sur le trottoir, jetant un coup d'œil vers lui qui se massait l'estomac, faisant mine de ne pas le remarquer mais satisfait malgré tout de ce regard où il lisait une sorte de complicité dissimulée. Oh ! La rage de Micka n'était pas tombée, loin de là, mais des sentiments divers l'agitaient auxquels il ne voulait pas se livrer pour le moment, il serait temps d'y penser plus tard, une fois seul.
Chose étrange, malgré cet échange de coups qui lui laisserait certainement quantité d'ecchymoses pendant un moment, il en voulait plus à Esse qu'à Matt, et inévitablement il pensa à sa mère, bouleversé par les paroles prononcées par son ex fiancée. Heureusement, Matt détourna son attention en se levant et Michael se redressa alors que son ami soupirait et lui adressait un dernier regard.

Ce fut pour lui faire comprendre que les choses devaient en rester là et lui faire ses adieux, en lui souhaitant bonne chance. Une boule au ventre, et le constat de la fin d'une amitié qu'il avait pensée indestructible… Mais malgré la colère et malgré la peine qu'il savait si bien cacher il ne voulut retenir qu'un détail : Mathias ne l'avait appelé ni Michael, ni Dean, mais Micka, comme avant…

Tu as raison… répondit-il en s'asseyant à son tour. Ca a été trop loin, beaucoup trop…

Et tandis que l'ami de toujours s'éloignait pour ne plus revenir, Micka le regarda partir et dit à voix mesurée :

Porte-toi bien, Matt…

Il se releva, jeta un coup d'œil vers l'entrée sombre de l'immeuble qui ne lui laissa entrevoir qu'un trou noir et s'éloigna à son tour.

Ils venaient d'arriver à l'appartement de Matt et Syndey et attendaient sans un mot qu'on vienne leur ouvrir. C'est un Matt surpris et en caleçon qui se présenta à eux. Il fut toutefois heureux de revoir son meilleur ami, tout en jetant un regard interrogateur à sa sœur et sa tenue pour le moins légère. Finalement, Michael grommela quelque chose qu'Esse ne parvint pas à comprendre, son état étant bien trop avancé, la largua là et fit faux bond à son meilleur ami en ne lui laissant pas l'occasion de se retrouver, tant qu'à être dérangé. La jeune fille se retrouva donc soudainement dans les bras de son frère, sans dire un mot, mais sentant qu'elle commençait à se sentir très mal, ainsi ballotée depuis le rez-de-chaussée.
Rien ne s'arrangea quand son frère la précipita vers le canapé et l'y déposé avant de filer. Esméralda voyait le monde tourner autour d'elle et s'écroula sur le canapé, le bout de serviette lui servant de vêtement ne couvrant que peu de choses. Quelques minutes plus tard, alors qu'elle sombrait dans un sommeil d'alcoolique, elle fut réveillée par de nouvelles voix, à nouveau celles de son frère et de son fiancé... ex, pour être exacte. Ils disparurent elle ne savait trop où, et vint ensuite une voix plus féminine, plus douce, ainsi que des mains chaleureuses qui la recouvrirent de cette serviette.

Tout à coup, Esse avait froid, et ça la réveilla quelque peu. Elle se redressa, gémissant, sentant cette nausée revenir à grands pas. Elle se sentait barbouillée, elle avait le mal de mer, elle avait envie de pleurer tout autant que de vomir, et elle grelottait. Elle jeta un œil à la personne qui l'avait rejointe, et la reconnut vaguement. Puis, soudain, la lumière se fit dans son cerveau embrumé.

Oh... Oh ! Sydney, c'est ça ? Sydneeeeey !

Esse se redressa et vint s'affaler sur sa belle-sœur en guise de câlin amical. Elle s'accrocha, lui fit un bisou sur la joue et posa ensuite sa tête sur son épaule, luttant pour ne pas fermer les yeux à nouveau.

Ça fait un bail que je ne t'avais plus vue ! Qu'est-ce que t'as fait pendant tout ce temps ? On dirait bien que toi, en tout cas, tu n'as pas été voir ailleurs, sinon tu ne serais pas dans cette tenue !

Esméralda releva la tête, observa longuement sa propre tenue, puis rit. Elle se passa la main dans ses cheveux en bataille et ses doigts restèrent bloqués dans un gros tas de nœuds.

Oups ! C'est vrai que ma tenue n'est pas mieux, et pourtant... ! Mon fiancé, à moi, a préféré m'oublier dans les bras d'autre filles plutôt que auprès de ses amis, sagement... Bah, de toute façon, j'ai jamais eu de fiancé sage, je sais pas à quoi je m'attendais, hein ?

Elle rit à nouveau, et sourit à Sydney. Puis, son sourire disparu prestement et elle se redressa à nouveau.

Oh oh... dit-elle soudain, essayant de se lever. Elle le fit un peu trop rapidement et trébucha dans la table basse. Elle s'affala au sol, et marcha à quatre pattes en direction de la salle de bains, rapidement. Le seul son suffisait à deviner ce qui se passait. On entendit un bruit d'eau et de brosse à dents... qui n'était pas la sienne, un bruit de coup, un juron, un flacon tombant dans l'évier, puis Esse réapparut, blanche comme un linge, titubant et venant à nouveau s'affaler dans le canapé. Elle soupira bruyamment et se tourna vers Sydney une nouvelle fois.

Alors... ? Bien profité des retrouvailles ? J'suis contente que tu sois toujours avec mon frère... au moins on n'aura pas tout perdu en étant morts !

Elle sourit dans le vide, regarda droit devant elle et se tut définitivement.