Plan rapproché sur Gwen qui sort d’une école délabrée, les yeux plein d’eau et la bouche tremblotante. Son groupe de discussion de ce soir-là avait été particulièrement rempli d’émotions. Bien qu’elle s’y attendait, la jeune femme ne pouvait s’empêcher d’être triste pour tous ces gens qui faisaient preuve d’un immense courage. Dans le gymnase de cette école miteuse, Gwen avait animé la discussion entre un groupe de personnes qui ne semblaient rien avoir en commun du point de vue extérieur… Pourtant un grand mal les reliaient tous étroitement… Le sida.

Alors que Gwen s’éloignait de toutes ces émotions bouleversantes, elle se dirigea inconsciemment vers les rues les plus dangereuses de Somber City. Trop accaparée par les inquiétudes et les conversations qu’elle avait entendues ce soir-là, la blondinette ne prenait même pas conscience du danger. Elle ne pensait qu’à la prochaine rencontre de ce petit groupe destiné à mourir à petit feu, dans la douleur et le rejet. Et c’était bien pour cette raison qu’elle animait ce groupe, pour qu’ils se sentent moins rejetés par la société.

Le soleil projetait ses derniers rayons sur la ville, donnant un éclat orangé sur tous les objets dehors, éblouissant Gwen. Les yeux légèrement plissés, les larmes qu’ils contenaient se libérèrent enfin, laissant la jeune universitaire s’apaiser tranquillement. Il n’y avait personne dehors et la demoiselle se permit de se laisser aller à un seul et unique sanglot avant de se ressaisir.

Gwen se demandait si elle devait rentrer directement chez elle et se laisser ronger par l’angoisse et le trop plein d’émotions qui l’assaillait, ou encore sortir pour se changer les idées. Mais sortir sans rentrer chez elle voulait dire sortir avec les yeux un peu gonflés par les larmes, dans un jean délavé, troué et un T-Shirt de Aerosmith, ce qui n’avait rien de très élégant. Toujours perdue dans ses questionnements, elle ne se rendit pas compte qu’elle marchait droit vers un inconnu qu’elle frappa de plein fouet.

«Oh désolée… Je… je ne vous avais pas vu.» Déclara-t-elle en essuyant les dernières larmes qui coulaient encore sur ses joues. «J’espère que je ne vous ai pas fait mal!»

Un sourire d’excuse se dessina sur ses lèvres et son visage bienveillant était sincère, réellement soucieuse de savoir si elle n’avait pas heurter l’homme trop fort.

Drôle de vie tout de même. Matt, pas plus que sa sœur Esse, ne s’était attendu à un tel revirement de situation de la part de son ami Michael. Il avait eu du mal à lui faire confiance quand, quelques mois plus tôt, il avait appris que son ami, avec qui il avait fait, rappelons-le, les 400 coups concernant les filles, était amoureux de sa petite sœur. Il avait vraiment eu du mal à penser que Michael lui serait fidèle et ne lui ferait pas de mal… non parce qu’il pensait Micka mal intentionné mais parce qu’il le savait peu stable et peu enclin à s’enfermer dans une relation avec une seule fille.
Et puis, il avait fini par accepter. Il avait même été heureux pour les deux personnes, avec Syd, qu’il chérissait le plus au monde. Mais Michael l’avait déçu une première fois en trompant Esse. Tant bien que mal, et parce qu’il avait des excuses plus ou moins valables, l’alcool aidant, et parce qu’il était son ami et qu’il ne voulait pas le perdre, Matt avait choisi de pardonner à Michael puisque Esse l’avait fait.
Mais cette fois, c’en était bien trop… Michael avait changé. Il n’était plus le même. Ce n’était plus vraiment son ami, comme avant… La prison sans doute, les épreuves que lui aussi avait traversées et qui n’avaient pas été faciles du tout. Il avait encore une fois des excuses, pour ses erreurs ou ses actes… mais pas pour son comportement actuel. Matt avait tout comme Esse la sensation que Michael ne prenait plus sa relation avec la petite sœur comme réellement sérieuse et importante. On aurait dit que Michael considérait à présent Esse comme toutes les autres filles, ce qui n’avait jamais été le cas jusqu’à présent… jusqu’à ce qu’il la croit morte…
Matt en était atterré, cela le bouleversait et le blessait profondément, pour sa sœur d’abord, mais aussi pour lui, car il avait l’impression de perdre son ami… Quoi qu’il en soit, les choses étaient ainsi et Matt était préoccupé en permanence.

C’est ainsi que, plongé dans ses pensées, cherchant sa petite sœur qu’il avait désormais l’habitude de recueillir dans les bars mal famés de la ville, parce qu’il ne pouvait s’empêcher de la protéger du mieux qu’il le pouvait, il se baladait dans les mauvaises rues du mauvais quartier qui lui était désormais bien malheureusement familier. Ne regardant même pas où il allait, il entra en collision avec une personne qui se confondit en excuses, lui demandant si elle ne lui avait pas fait mal.
C’était une jeune femme blonde, plutôt jolie, mais au visage tiraillé par des larmes manifestement abondantes. Il fronça d’abord les sourcils et elle dut se dire qu’il était en colère alors qu’il était plutôt inquiet… pour elle ! Pourquoi pleurait-elle ? C’était curieux et Matt n’aimait pas beaucoup voir une jeune fille pleurer. Il finit par lui sourire gentiment en la prenant par les épaules, pas de manière trop proche bien sûr, juste en un geste réconfortant mais pas déplacé.

Ne vous inquiétez pas ! Je vais très bien… mais vous… pourquoi est-ce que vous pleurez ? Enfin je suis sans doute indiscret… mais je n’aime pas voir une jeune femme pleurer ! Est-ce que je peux vous offrir un café pour me faire pardonner ? J’étais distrait et peut-être que j’arriverai à vous changer les idées… qui sait ? dit-il alors en sortant son plus charmant sourire, non dans l’idée de la draguer mais plutôt de lui en arracher un, à elle aussi, et de l’inciter à dire oui.
Il cherchait sa sœur mais après tout, il ne pouvait la protéger de tout, Syd le lui répétait sans cesse… Il ne pouvait pas toujours être derrière elle à moins de ne plus avoir de vie…

Patiemment, il attendit la réponse de la jeune femme en l’observant. Elle était jeune, elle devait avoir l’âge de sa sœur, à peu près, et Matt se surprit à réaliser qu’il avait envie de protéger toutes les jeunes filles de cet âge tant il se sentait impuissant face à la détresse de sa sœur et à sa nouvelle façon d’y faire face. Il n’avait pas du tout géré les tentatives de suicide d’Esméralda et espérait ne plus jamais devoir le faire, mais il ne comprenait pas bien non plus ses réactions actuelles… peut-être était-ce pour cela qu’il se lançait à corps perdu dans la guidance de parfaites inconnues…

L’inconnu s’avérait être un jeune homme qui semblait à peine plus vieux qu’elle de quelques années, de magnifiques yeux pâles et les cheveux rasés, foncés. Au début, Gwen crut que l’homme lui en voulait de cette collision, son visage semblait exprimer de la colère, mais il la prit gentiment par les épaules, contredisant l’émotion qu’on lisait sur ses traits. Il allait bien, c’était l’essentiel.

Il se mit à parler, entraînant Gwen dans un tourbillon d’information. Un café? Avec cet inconnu? Ce n’était pas bien sécuritaire, surtout quelle venait de prendre conscience du lieu où elle se trouvait. Ce qu’elle pouvait être distraite parfois! De un, elle était très loin de chez elle, de deux, cette partie de la ville était très dangereuse pour une jeune femme, surtout la nuit venue.

Mais il y avait quelque chose chez ce jeune homme qui poussait à lui faire confiance…

La jeune universitaire passa sa main sur ses joues, pour essuyer les larmes qui roulaient toujours sur son visage et tenta de sourire.

«Oh ne vous en faites pas pour moi. C’est que je suis émue, très émue. Je me trouve si lâche en ce moment… J’ai rencontré des gens plein de courage devant la maladie et j’en suis toute bouleversée.»

Elle se sentait stupide de raconter sa vie à un étranger, mais cela lui faisait du bien. Aussi se dit-elle que le café ne serait pas de refus… De toute façon, il y a du monde dans un café, non? Le sourire que lui adressait ce parfait inconnu la força à sourire davantage, un sourire un peu honteux de ces grosses larmes «de bébé», mais Gwen ne pouvait s’empêchait d’être touchée par des histoires aussi tristes. D’ailleurs, si elle n’était si émotive, elle n’aurait jamais participé à toutes ces œuvres de charité. Sa mère lui disait toujours qu’elle devrait être Première Dame à la maison blanche et cela faisait toujours rire Gwen qui ne se voyait pas dans ce rôle. Elle aidait les gens parce qu’elle le voulait, pas parce qu’elle y était obligée!

«J’accepte de vous suivre pour un café avec joie… Seulement, pourrait-on s’éloigner de ces rues peu sécuritaires, j’en ai froid dans le dos!»

À ces mots, la blondinette jeta un regard furtif autour, comme pour s’assurer qu’aucun brigand ne les attaquerait au détour d’une ruelle.

[désolée, j'ai mis du temps à répondre, mais me voilà maintenant! ]

[Pas de souci, je ne suis pas super rapide non plus ^^]

Matt avait une fâcheuse tendance à ne pas exprimer sur son visage ce qu’il ressentait réellement. Sauf quand il s’agissait de colère. Mais dans ce cas précis, c’était plutôt de l’inquiétude. Il était inquiet pour sa sœur, pour ce qui allait se passer… leur vie n’était décidemment jamais tranquille.

Alors qu’il parlait à la jeune femme, elle semblait de plus en plus perdue, certainement effrayée de se trouver avec un inconnu qui pourrait très bien être un agresseur potentiel. Il aurait voulu être rassurant mais n’en avait guère la capacité. Il lui proposa quand même un café, tandis qu’il s’inquiétait de son état vu les larmes qui avaient coulé. Elle se passa une main sur le visage pour effacer toute trace embarrassante et tenta de sourire, un petit sourire timide qui la rendait ravissante, même si c’était peu convaincant.

Elle lui dit de ne pas s’en faire pour elle, qu’elle était juste émue et… lâche. Des paroles qui surprirent Matt, se demandant bien ce qu’elle voulait dire par là. Il fronça les sourcils, intrigué, alors qu’elle disait avoir rencontré des gens malades pleins de courage. Il comprit à peu près ce qu’elle devait ressentir, mais elle ne devait pas se sentir lâche pour autant. Alors il lui sourit et elle lui répondit, de façon plus convaincante, cette fois. Elle semblait plus confiante et Matt en fut ravi. Il n’était pas un agresseur, il voulait juste se faire pardonner de l’avoir bousculée !

Elle accepta le café avec joie, mais lui demanda de s’éloigner de ce quartier, elle ne semblait pas rassurée. Il confirma en regardant alentour. C’est vrai, ils n’étaient pas dans un quartier bien fréquenté. C’est justement ce qui l’inquiétait parce qu’il était sûr d’y trouver sa petite sœur… mais il tâcha de mettre ses soucis de côté et, après s’être assuré que la jeune femme allait parfaitement bien, il l’emmena vers les meilleurs quartiers de la ville.

Qu’est-ce qu’une jeune femme comme vous fait donc ici ? demanda-t-il tandis qu’ils marchaient côte à côte. Moi je cherche ma sœur… elle ne va pas très bien en ce moment, alors je m’inquiète… je l’ai toujours trop protégée mais… il… elle est si fragile, elle est capable de…

Il s’interrompit, sa voix brisée par une émotion trop grande. Voilà que lui aussi se mettait à déballer sa vie à une inconnue. Mais elle lui inspirait confiance, et elle avait un regard neuf… Sydney l’écoutait toujours, mais elle soutenait aussi Micka, parce qu’elle voulait que les choses s’arrangent. Matt ne pouvait le supporter. Il avait besoin d’un regard neuf sur la situation, un regard objectif, n’importe lequel, et peut-être s’était-il reporté sur cette jeune femme sans s’en rendre compte. Parler lui ferait un bien fou, seulement elle semblait déjà avoir beaucoup sur les épaules.

Peu importe, il verrait bien. Pour l’instant, il avait voulu entamer la conversation tout en libérant un peu de lest de ce dos qui en portait beaucoup trop…

Vous savez, vous n’êtes pas lâche. C’est difficile de voir les autres se détruire ou mourir sans qu’on ne puisse rien y faire. C’est difficile d’avoir la bonne attitude. Mais être là pour eux, c’est déjà beaucoup… ils n’attendent peut-être pas plus, finalement, et vous, vous leur offrez déjà cela… Ils ne sont pas seuls, grâce à vous et croyez-moi, être seul, c’est ce qu’il y a de pire… vous faites beaucoup… tout le monde n’en est pas capable…

Il savait de quoi il parlait, bien sûr, il avait été seul pendant des mois. Il était avec sa sœur, certes, mais abandonné de tous, de sa nations, de ceux qu’il aimait, de force. Aucun lien vers l’extérieur n’était possible et ça avait sans doute été une des pires expériences de sa vie. Coupé du monde. Décidemment, cette fille lui évoquait beaucoup de choses et il eut le sentiment que cette rencontre pourrait vraiment l’aider, comme il espérait pouvoir lui apporter quelque chose, lui aussi.

Ils arrivèrent enfin dans les bons quartiers et il l’invita à entrer dans un petit bistrot calme en lui tenant la porte…

[Suite dans un café des bons quartiers ? ]