Arrivée en fanfare [PV Allan + Esméralda]

Tristan avait beau avoir décidé de venir à Somber City il avait hésité longuement avant de prendre la route. Peur de voir sa vie changer, peur de rencontrer des lambeaux d'une famille qu'il ne connaissait pas, peur de ne pas pouvoir revenir en arrière une fois qu'il aurait franchi le pas…

Et s'il était mal reçu ? Il devrait s'y attendre, déjà qu'il avait appris que son frère était un voyou de la pire espèce, que devait donc être son père… Sans doute un alcoolique sans volonté qui avait laissé son fils pousser tout seul, certainement un être repoussant… Alors pourquoi Tristan tenait-il tant à connaître ses origines ? Il n'en savait rien, il ne savait plus… La curiosité, peut-être, ou quelque chose de plus fort…

Il s'était levé ce matin avec le désir de partir puis avait atermoyé, se trouvant mille raisons de ne pas le faire. Dans l'après-midi il avait fini par aller voir Barthelemy et s'était confié à lui. Ils avaient passé des heures à parler, Bart étant d'avis qu'il devait connaître sa vraie famille maintenant qu'il n'ignorait plus son existence, terminant la conversation devant un dîner composé d'une pizza et de sorbet puis Tristan avait décidé à une heure avancée de la nuit de filer à Somber City tant qu'il y était encore résolu, avant de changer d'avis.

Il retourna chez lui, mit quelques affaires dans un sac de voyage et ferma son appartement puis alla jusqu'à sa vieille jeep beige qui l'attendait sagement devant la porte. Au vu de l'aiguille de la jauge d'essence il remarqua qu'il faudrait faire le plein, mais Somber City n'était pas très loin de Wilmington… Il trouverait certainement ce qu'il cherchait sur la route.

Vers une heure du matin il arriva aux abords d'une petite ville qui lui sembla plaisante, bordée sur le côté d'une mer qui ce soir commençait à être houleuse. Le temps se couvrait et allait sans doute virer à l'orage et il se félicita d'avoir pensé à prendre une veste. L'œil sur la jauge il commençait à ressentir quelques inquiétudes du fait qu'il n'avait rencontré aucune station d'essence encore ouverte sur le trajet. Il en vit une autre en ville, fermée elle aussi, et décida de se diriger vers le centre car comme dans toute bonne agglomération qui se respecte tout est ouvert la nuit dans le centre-ville.

Arrivé à l'endroit de son choix il aperçut, soulagé, un centre commercial et une station service… fermée ! Agacé, il administra une tape à son volant quand tout à coup sa jeep donna des signes de faiblesses avant de s'arrêter à trois mètres à peine du petit garage vers lequel il se dirigeait.

Nom de … !!! C'est bien ma veine !

Il se mit à klaxonner puis jugea que ce n'était pas judicieux et descendit de voiture. Après avoir enfilé sa veste parce que le vent du large rafraîchissait un peu trop l'atmosphère il alla tambouriner à la porte de la station service.

Il y a quelqu'un ici ? cria-t-il en jetant un œil vers l'une des fenêtres de l'étage.
Oho ???

* Mais ils se couchent tous avec les poules ici, ma parole ! Où est la permanence ? Qu'on ne me dise pas qu'ils ferment la nuit ! On fait quoi quand on n'a plus d'essence, dans ce bled pourri ? *

Hého ? Il y a quelqu'un de vivant par ici ??? Vous avez un client, là !

Enfin il vit une silhouette se profiler derrière une vitre à l'étage et il écarta les deux bras, paumes ouvertes, dans un geste d'agacement à l'attention de l'apparition.

Pas trop tôt ! marmonna-t-il entre ses dents, attendant avec impatience que l'employé de permanence descende.

La nuit était bien avancée et la lune éclairait d’une lueur sereine les vitres de la chambre d’Allan.
Esse s’était endormie dans ses bras et Allan voyait les heures précédentes défiler dans ses jeunes souvenirs.
Lui l’écorché vif n’en revenait pas de la tournure qu’avait pris les événements après, on peut le dire, une entrée en matière catastrophique de sa part.

Comme d’habitude il avait été sensible à la souffrance qu’il avait perçue chez elle et son inclinaison à vouloir« consoler » les gens, avait trouvé avec elle un excellent terrain
d’entente.

Passé ses premières craintes, cette peur viscérale d’être rejeté, Allan s’était comporté en amant passionné, vibrant de tout son corps aux étreintes partagées, offrant à sa compagne d’un soir un transport des sens jusqu’au bout de leurs forces.

Allan ne se lassait pas du contact de sa peau sur la sienne, et était envahi d’une douce torpeur, le corps de sa partenaire allongé sur son flanc gauche.
Ne trouvant pas le sommeil, sa main errait délicatement sur la courbe de ses épaules, provoquant un sourire à l’aube des envies qui reprenaient vie.

Il avait appris à ne plus trop se projeter évitant bien des déboires et des désillusions.
Demain serait un autre jour… avec ou sans Esse.

Somnolent quand même donc, Allan savourait l’instant présent lorsque le silence berçant de la nuit fut déchiré par plusieurs coups de klaxons rageurs.
Instinctivement il se retourna vers sa protégée d’une nuit et vit que cette sauvage manifestation de la civilisation n’avait perturbé en rien son sommeil.
Rassurant il promena sa main sur son front, caressant ses cheveux une enième fois, humant sa senteur sauvage et toute particulière.

Le cauchemar se répéta avec de violents coups frappés à la porte du bureau accompagnés de vociférations, somme toute assez agressives.
Allan se leva, prenant soin de ne pas réveiller Esse et tira le drap sur ses épaules, comme pour se rassurer avant de la laisser seule.

Par la vitre il vit un énergumène, gesticulant avec les bras moulinant dans le vide, visiblement agacé de ne point trouver réponse immédiate à son problème.
Allan, encore tout frissonnant du corps d’Esse sur le sien, ouvrit la fenêtre et observa l’individu sans-gêne.

« Calmez vous… je descends...le temps de m’habiller » hurla-t-il en pensée, murmurant pour être audible de l’enquiquineur.

Il passa son pantalon dans le plus grand silence, et répondit à Esse qui malgré ses efforts pour être discret avait ouvert les yeux et le questionnait sur les raisons de son lever.

« C’est rien…un énergumène qui a oublié d’être civilisé à cette heure…rendors toi, je vais voir ce qu’il veut. »

Allan descendit rapidement et ouvrit la porte du bureau, ne s’encombrant pas de civilités excessives malgré la taille de son interlocuteur :

« Vous voulez quoi au juste ? Réveiller tout le quartier.
C’est quoi votre souci qui peut pas attendre l’ouverture de la station ? »

Et porte simplement entrebâillée, il attendit la réponse de l’intrus, la souhaitant justifiée, dardant sur lui un regard inamical.

La silhouette aperçue derrière la vitre de l'étage ouvrit la fenêtre, dévoilant plus nettement un corps d'homme à demi nu à ce que Tristan pu en voir et un visage qui ne lui sembla pas des plus amènes.

¤ Calmez vous… je descends... le temps de m’habiller ¤ jeta-t-il assez discrètement à son client.

*Comment ça "le temps de m'habiller" ! Il était parti se coucher ? A cette heure-ci ??? Ils ont une drôle de façon d'accueillir les clients dans cette bourgade !* pensa Tristan de mauvaise foi car la ville n'avait rien d'un village, elle était même plutôt grande avait-il remarqué en la traversant pour arriver au centre.
* Et drôle de façon d'assurer une permanence !*

L'individu finit par réapparaître après que Tristan ait fait les cent pas pendant dix ans et ouvrit la porte, demandant à son futur client ce qu'il voulait au juste, quel était son soucis qui ne pouvait attendre l'ouverture de la station et lui reprochant de vouloir réveiller tout le quartier.

Je ne serais pas tenté de réveiller tout le quartier si vos pompes à essence étaient accessibles et si vous n'aviez pas éteint toutes les lumières !

Le garagiste le regardait d'un œil mauvais et il n'avait même pas daigné ouvrir la porte complètement. Tristan lui rendit son regard et vitupéra.

Vous avez des manières peu communes de servir vos clients, vous ! Je ne vous recommanderai pas à mes amis ! Qu'est-ce que c'est que ces façons ? Votre sens du commerce est à revoir !
J’ai besoin d'ESSENCE, ça vous surprend ? Vous croyez quoi ? Que j'étais venu acheter une peluche ?! … Ou que je me plais à réveiller les gens qui devraient être à pied d'œuvre pour servir les clients pendant leurs heures de travail !

Après un moment de réflexion il enchaîna :

Comment ça, l'ouverture de la station ??? Dans un centre ville les stations sont ouvertes pendant la nuit, dans toute zone urbaine débarbarisée ! Je suis tombé où, là ? Dans un trou perdu au bout du monde ?

Il pointa son doigt en direction de sa jeep à quelques pas de là.

Je suis tombé en panne d'essence ! Alors soit vous m'aidez à la pousser jusqu'au pompes, soit vous ramenez vos fesses jusque là avec un jerrican plein soit encore vous me le vendez et je remplis mon réservoir tout seul… si ce n'est pas trop vous demander !

Cet employé mal embouché et pas commerçant pour deux sous commençait à l'agacer sérieusement et le jeune Finley était tenté de l'attraper par le collet et de le faire sortir de l'antre où il se cachait, cherchant protection derrière une porte à demi ouverte. Mais il se contint parce qu'il en avait besoin, la station service étant la seule où il avait une chance de faire le plein.
A tout hasard il avança discrètement le pied dans l'entrebâillement au cas où l'autre refuserait de le servir et refermerait sa porte.

Bon, on fait quoi, là ? On continue à se regarder en chiens de faïence ou vous faites le boulot pour lequel vous êtes payé ? Trop grassement, à mon avis…
Jamais vu ça !!! bougonna-t-il.

*Je sens que je ne vais pas me plaire dans cette ville ! Une fois que j'aurai rencontré les autres je me barre vite fait de chez ces ploucs mal dégrossis !*

Devant l'inertie de l'autre, les sourcils maintenant froncés à l'extrême il serra les mâchoires et articula dérisoirement lentement en ouvrant à peine la bouche.

Je dois m'exprimer comment ??? Toi avoir essence et moi avoir argent. Moi te donner argent si toi me donner essence… Toi piger ?

Etre réveillé à une heure du mat par un concert de klaxons avait déjà quelque chose de surnaturel.
Accepter de descendre ouvrir pour ne pas passer a coté d’une urgence, d’une détresse, était dans les choses faisables relevant de l’humain.
Se faire engueuler, traiter comme un esclave, était par contre complètement inconcevable, surtout par un mec qui n’avait pas eu la présence d’esprit de faire son plein avant de partir.

« Ben vous savez dans la jungle les animaux sauvages sont enfermés très tôt pour des questions de sécurité, et les esclaves ne pédalent plus après 20 heures pour produire l’électricité…donc on va tous dormir de bonne heure…remarquez c’est pas plus mal car en général ça nous permet d’éviter des rencontres nauséabondes ! »

Allan essayait de conserver le peu de calme qui lui restait non pas par politesse ou courtoisie, non , surtout pour ne pas se mettre encore dans une situation difficile.

« Me recommander à vos amis ! Monsieur est trop bon…mais vous avez entièrement raison de vous méfier ainsi et de ne pas prendre ce risque…des fois que je vous fasse payer à vous et vos amis ce que je devrais faire gratuitement pendant mes heures de repos… »

Plus l’inconnu lui parlait et faisait état de ses griefs tous plus invraisemblables les uns que les autres, plus Allan lui répondait gardant une mesure acceptable dans ses propos sentant monter en lui l’envie irrépressible de lui foutre son poing dans la figure.

En plus cet abruti n’étant pas discret pour deux sous risquait fort de réveiller définitivement Esse…ce qui serait complètement préjudiciable à toute éventuelle entente.
Pour l’heure, il écoutait toujours le naufragé de la route dévider son fiel sur le premier venu, lui en l’occurrence.

Zone barbarisée…trou perdu au bout du monde…pousser voiture…porter jerrican…vendre essence…beaucoup de choses formulées de façons désagréables, humiliantes, dégradantes, mais qui finirent par tirer un sourire sur le visage d’Allan exaspéré par tant de suffisance et de mépris de l’autre.

Sourire mécanique, de lassitude, parce qu’il savait que la meilleure façon d’éviter toute embrouille serait de ne pas répliquer, de refermer la porte et de retourner se coucher, se lover dans les bras d’Esse.
Mais il n’en pouvait plus de tant de connerie humaine, d’autant que l’australopithèque en remettait des couches successives.

Et l’insupportable se produisit par ce pied étranger dans l’entrebâillement de la porte, comme si il avait un droit quelconque à faire valoir partout ou il se trouvait.

Une étrange pâleur figea le visage du jeune homme et ses muscles se bandèrent, se préparant au combat corps à corps, sans limite et sans règles.
Seule la survie avait de l’importance, plus rien d’autre ne comptait.
Son cerveau ne raisonnait plus de façon civilisée, l’instinct guerrier, primal, reprenait le dessus.

Allan se détacha du chambranle, ouvrant la porte en grand et fixant l’inconnu dans les yeux, s’adressa à lui d’une voix froide et neutre :

« Vous…vous allez retirer ce pied immédiatement… le chien que je suis, doublé de moricaud, aurait pu encore il y a quelques instants vous rendre ce service…et gratuitement…j’aime pas laisser souffrir les bêtes… »

Allan s’efforçait de garder un calme tout relatif, tant l’étranger avait ravivé de vieilles blessures.

« Vous ravalez votre morgue et vous vous barrez d’ici…le bureau du shérif n’est pas très loin…allez donc lui comptez votre mésaventure, après l’avoir réveillé bien sur…vous m’en direz des nouvelles… »

Son pied se cala contre celui de l’homme, ses poings se fermèrent, et il se raidit sur ses jambes, prêt à toute éventualité.
Depuis son arrivée à Somber, il se trouvait confronté pour la deuxième fois à une situation de conflit, prenant vraiment des proportions qu’il ne souhaitait pas.
Mais dorénavant il était hors de question pour lui de subir ce genre de comportement de la part d’individus se supposant plus évolués que les autres.

« J’ai de l’essence oui…vous avez de l’argent oui…mais vous parlez très mal votre langue, ce qui rend la transaction impossible, désolé…votre argent vous pouvez vous le tailler en pointe et en faire un usage plus intime, si vous comprenez le sens de mes propos…et très gentiment je vous demande pour la dernière fois de retirer votre pied qui me gêne considérablement. »

Insensiblement Allan avait remonté son bras droit, le mettant un peu en retrait, prêt à déclencher ce pilon en cas du moindre mouvement suspect.

Les premières prises de contact de Tristan avec le petit monde de Somber City n'étaient pas des plus concluantes. Son interlocuteur lui servit une sombre histoire d'animaux sauvages enfermés de bonne heure pour des raisons de sécurité, -quoique la ressemblance était plaisante – et d'esclaves qui ne pédalaient plus après 20 h pour fournir l'électricité… bref tout ça pour en arriver à lui dire qu'ils allaient tous dormir de bonne heure et que ce n'était pas plus mal parce qu'en général ça leur permettait d'éviter des rencontres nauséabondes.

Le fils unique de Christina regarda le pompiste de travers. Ainsi c'était de cette façon qu'on accueillait les clients ici, c'est bien ce qu'il pensait. Le sens commercial, connaissait pas, ce petit crétin ! Ce ne devait pas être lui le patron ici, sinon il n'aurait pas craché sur une recette, même tardive. Que ses employeurs perdent un client devait être le dernier de ses soucis, l'argent n'entrait pas directement dans sa poche et il ne devait pas se sentir concerné. En tout cas ce n'était pas la conscience professionnelle qui l'étouffait !
Il lui parla ensuite de ses heures de repos comme si c'était une évidence que dans cette ville il n'y ait pas de permanence le soir, comme partout ! Pas une pompe d'ouverte la nuit dans toute une agglomération qui se prétend être une ville ? Aussi invraisemblable que saugrenu !

Oh mais pardon ! Je me croyais dans un monde civilisé ! Comment font les gens qui sortent le soir, alors ? Ah… ils ne sortent pas ! Je comprends, au couvre-feu tout le monde au lit ! Vous n'avez pas de cinéma non plus alors ? Si ? Mais il ferme à 18 heures je présume… Bien bien… Et est-ce qu'il y a au moins un hôtel alors ?
Non mais, parce que parti comme ça…

Tristan voyait passer différentes expressions sur le visage de son interlocuteur, principalement de l'exaspération. Enfin un sourire incongru apparut sur son visage, certainement ce qu'il considérait comme un sourire commercial.
… Jusqu'à ce qu'il avise le pied de Tristan dans l'entrebâillement de la porte.
Il pâlit puis afficha un regard mauvais, articulant d'une voix neutre et froide.

« Vous…vous allez retirer ce pied immédiatement… le chien que je suis, doublé de moricaud, aurait pu encore il y a quelques instants vous rendre ce service…et gratuitement…j’aime pas laisser souffrir les bêtes… »

Qu'il le compare à un animal, passe encore, Tristan était habitué à ce genre de langage dans le quartier qu'il habitait –un quartier où il y avait tout de même des pompes à essences ouvertes la nuit !- mais qu'il sous-entende qu'il avait traité le petit brun de chien et de moricaud le jeune Finley le supporta très mal. Le pompiste continua en lui conseillant de ravaler sa morgue et de se tirer d'ici et surtout d'aller réveiller le shérif pour lui conter sa mésaventure.
Le pied du mal embouché vint se caler contre le sien alors qu'il ouvrait brusquement la porte en grand et adoptait l'attitude d'un homme prêt à se battre, attitude qui n'était pas étrangère à Tristan, habitué depuis sa prime jeunesse à ce genre d'affrontements.
Ce type aurait tout aussi bien pu habiter son quartier et faire partie de sa bande ou de la bande adverse. Quoique Tristan s'était calmé maintenant depuis qu'il avait commencé des études, mais l'autre n'avait apparemment pas suivi la même évolution.

Il s'entendit conter ensuite par le menu ce qu'il pourrait bien faire de son argent.
Triss recula tranquillement, prêt à l'esquive, sans lâcher son adversaire des yeux, lesquels, sous le voile de la fureur et le couvert de ses sourcils froncés, semblaient être devenus plus sombres.

Je manie peut-être mal ma langue mais c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour que mes explications arrivent à leur destination. Je sais, vous dormiez, ce qui rend votre compréhension plus laborieuse ! Mais n'oubliez pas un détail : je ne vous ai pas insulté, j'ai juste essayé de stimuler un peu vos petits neurones apathiques. Je suis venu ici chercher de l'essence et vous refusez de m'en vendre, d'où mon énervement.
Mais dites-moi donc à quel moment je vous ai servi des propos racistes ? Est-ce que le mot moricaud est seulement sorti de ma bouche ? Certes pas, puisqu'il ne fait pas partie de mon vocabulaire, pauvre con ! dit-il en fureur. Désolé, je n'ai pas ce défaut-là !

Mon reproche tient précisément à la façon dont vous traitez vos clients, et ce n'est pas le shérif que ça regarde mais plutôt votre employeur ! Sait-il au moins comment vous gérez sa boutique ?!
Et quant à mes billets et à l'usage que je pourrais en faire, je te retourne le compliment… à propos de ton foutu jerrican !

Avec les propos grossiers était arrivé naturellement le tutoiement. Pas un tutoiement familier, loin de là, un tutoiement d'homme à homme d'un même milieu, un tantinet agressif et gouailleur.

Ils se toisèrent sans aménité, chacun s'évaluant et prenant la mesure de l'autre.
Puis une planche de parquet craqua à l'étage, bruit qui fut suivi de légers claquements produits par des pieds nus sur le sol, faisant dévier machinalement le regard de Tristan vers l'intérieur à la recherche d'un escalier. Ils semblaient maintenant l'un comme l'autre surpris et vaguement déstabilisés par cette manifestation produite par une tierce personne. Un enfant ?

Quelqu'un s'est réveillé ! grommela Tristan. C'est malin ! J'aurais été servi tout de suite il y a longtemps que je serais parti !
Et pas la peine de rejeter la faute sur moi, je n'y suis pour rien !

Esméralda dormait à poings fermés après ses ébats avec le jeune homme allongé à ses côtés. Ne se connaissant pourtant pas, puisqu’ils s’étaient rencontrés la veille pour la première fois, ils avaient très vite « sympathisé » et avaient fini la soirée dans le lit d’Allan. La nuit avait été tendre et chaleureuse, c’était le moins que l’on puisse dire. Esse avait trouvé en Allan un amant attentionné doublé d’un homme à la douceur étonnante. La veille, leur relation n’avait pourtant pas bien commencé. Ils s’étaient pris le bec pour un accueil douteux et des réflexions blessantes, campant chacun sur leurs positions. L’entrevue avait failli couper court mais il avait suffi de quelques mots pour que tout rentre dans l’ordre et qu’ils se trouvent quelques points communs très profonds. Alors, ils étaient partis faire un tour dans la voiture réparée de la jeune femme, partageant une bouteille d’alcool qui avait rendu Esse plus détendue et plus entreprenante, comme toujours avec ce breuvage. En bord de mer, les choses avaient très vite tourné au romantisme quand Allan était venu déposer un baiser sur les lèvres de la jeune femme. Elle avait été déçue de ne pouvoir le lui rendre, il s’était alors sauvé dans la voiture et avait conduit avec Esse dans le plus grand silence jusqu’à la station.

Mais arrivés à bon port, la jeune femme n’avait pas voulu en rester là et lui avait enfin rendu la politesse, l’embrassant de façon plus engageante. Il ne s’était pas fait prier et ils étaient rapidement montés, ayant pour conséquences celles que l’on connaissait. Voilà donc qu’ils étaient allongés l’un à côté de l’autre. Esse dormait tandis qu’Allan l’observait en silence, caressant sa peau douce de façon sensuelle. Puis, des coups de klaxons se firent entendre et Allan se demanda bien de quoi il pouvait s’agir. Esse n’avait rien entendu, quant à elle, et dormait toujours. Le jeune homme était prêt à somnoler à nouveau quand d’autres coups, sur la porte cette fois, résonnèrent. Allan se leva et enfila son pantalon en tentant d’être le plus discret possible mais les différents bruits avaient eu raison du sommeil d’Esse qui ouvrit les yeux. Elle lui demanda où il allait, intriguée qu’il quitte sa propre chambre, après qu’il ait été voir à la fenêtre de quoi il s’agissait, et il lui répondit que quelqu’un de peu civilisé réclamait sa présence mais qu’elle n’avait qu’à se rendormir. Elle lui sourit, se surprenant à émettre un geste tendre, et referma les yeux, laissant son amant du jour descendre pour rencontrer l’intrus.

Le silence régna à nouveau dans la pièce sombre, et Esse replongea dans le sommeil du juste… pour une courte durée, cela dit. Bien vite, des voix s’élevèrent et la jeune femme fut totalement réveillée. Inquiète en entendant le ton employé par les deux hommes, elle finit par se lever et jeta un œil à la fenêtre. Elle ne distingua rien au début, ses yeux n’étant pas habitués à la lumière qui régnait sur la cour, mais petit à petit, son cœur se mit à battre plus fort au vu de ce qu’elle pensait voir… au vu de qui elle pensait voir, surtout. Quand il bougea, elle le vit plus nettement et en fut certaine : Micka était en bas et c’était lui qui agressait Allan ! Elle le trouva changé, mais se dit que la lumière et son manque de sommeil devaient lui jouer des tours. Quoi qu’il en soit, elle ramassa la chemise d’Allan qui trainait au sol, l’enfila, la boutonnant sur le strict minimum et partit vers les escaliers, furieuse et prête à envoyer cet imbécile aller se faire voir ailleurs !

Elle descendit les marches et en eut le cœur net : Micka était menaçant et n’avait pas l’air commode face à un Allan qui n’avait pas l’air de vouloir se laisser faire, quant à lui. Esse fronça les sourcils. « Mais qu’est-ce qu’il a fait à ses cheveux ? » pensa-t-elle en s’approchant. L’esprit pas très net, son manque de lucidité dû à l’alcool ingéré quelques heures plus tôt, elle balaya cette incohérence et s’approcha, en colère.

Qu’est-ce que tu fous là ? dit-elle sur un ton glacial en coupant l’élan d’Allan qui s’apprêtait à répliquer. Fous-moi la paix, va emmerder ailleurs ! clama-t-elle en s’approchant de « Micka » et en le poussant vers la sortie. Elle jeta alors un regard à Allan qui était prêt à ne pas se laisser marcher sur les pieds plus longtemps, un regard qui signifiait qu’elle regrettait cette situation et qu’elle en semblait gênée, aussi. Allan dut comprendre le message puisque, par discrétion, rongeant son frein pour ne pas mettre son poing dans la figure de son adversaire, il adressa un long regard à sa partenaire avant de s’effacer pour rejoindre les escaliers et remonter. Elle se tourna alors vers « Micka » et lui lança un autre de ses regards glacials comme elle seule en avait le secret, un seul sourcil en l’air, signe de sa contrariété.

On peut savoir ce que tu es venu faire bon sang ? Tu ne crois pas que tu as suffisamment gâché ma vie comme ça ? Laisse-moi tranquille, je t’ai dit que je ne voulais plus te voir, c’était pourtant clair ! Je te déteste, ça ne changera plus, tu es rayé de ma vie et j’aimerais que tu respectes au moins ça, dans ta vie, à défaut de respecter les autres !

Elle ne savait pas si elle devait attendre une réponse, de toute façon la réplique n’allait certainement pas tarder, connaissant le caractère emporté de l’animal en face d’elle. Néanmoins, elle fit un pas en arrière et mit sa main sur la poignée de porte, qu’elle avait refermée quand Allan était remonté.

Pour confirmer l'idée qu'il venait d'avoir, des pas légers se firent entendre dans l'escalier qu'il venait de situer sur la gauche du local. Deux pieds nus apparurent aux yeux de Tristan, et ces pieds là n'étaient pas les pieds d'un enfant, et moins encore les jambes de rêve qui les prolongeaient, surmontées d'une chemise d'homme boutonnée à la va-vite.

Tristan en avait oublié sa querelle et regardait la blonde apparition faire son entrée. Le visage n'avait rien à envier à ce qu'il venait d'entrevoir, et cette bouche pulpeuse…

*Magnifique !* pensa-t-il admiratif.

Enfin, magnifique… Elle l'eut été nettement plus si elle n'avait affiché cet air haineux et dégoûté en le regardant, fonçant sans perdre une seconde vers les deux hommes.
…Manifestement très très en colère d'avoir été réveillée !

Mais Tristan n'était pas encore arrivé au bout de ses surprises.

Qu’est-ce que tu fous là ? lui dit-elle sur un ton glacial. Fous-moi la paix, va emmerder ailleurs ! s'exclama-t-elle en s'interposant entre le pompiste et lui et en le repoussant sans douceur.

Puis elle eut une expression d'excuse envers son compagnon, lequel la regarda longuement et abandonna la partie pour se diriger à son tour vers l'escalier.
Tristan faillit protester – il s'en allait sans lui vendre l'essence tant espérée ! – mais sous l'effet de la surprise resta muet, dévisageant l'inconnue qui lui jetait maintenant un regard réfrigérant, un sourcil levé.

Celle-ci enchaîna en lui demandant ce qu'il était venu faire, lui reprochant d'avoir gâché sa vie et lui demanda de la laisser tranquille, précisant qu'elle lui avait fait savoir clairement qu'elle ne voulait plus le voir. Elle le détestait, dit-elle, et il était rayé de sa vie.

Les éléments s'emboîtaient et Tristan était en train de comprendre ce qu'il se passait exactement : elle connaissait son frère, le repris de justice dont il avait vu la photo dans le journal, et n'avait pas l'air de le porter dans son cœur ! Comment avait-il pu se mettre une aussi belle fille à dos, cet idiot !

Bah, ce n'était pas difficile à deviner : sans doute elle avait été proche de lui et elle devait être tombée de haut en apprenant que c'était un violeur, Triss ayant été lui-même atterré en s'apercevant à quoi ressemblait sa famille, et dieu sait quelles monstruosités il allait découvrir encore !

La jeune fille qui s'était en peu avancée dans la cour et avait refermé la porte dans son dos, les laissant en tête à tête hors de portée des oreilles ennemies, recula et mit la main sur la poignée, prête à repartir.

En tout cas, si elle avait eu une histoire avec son frère elle s'était consolée depuis, pensait-il en jetant un regard involontaire sur sa tenue qui ne laissait aucun doute sur les relations qu'elle entretenait avec le pompiste. S'il y avait une chose qu'il devait lui reconnaître malgré la colère qu'il éprouvait envers l'individu c'est qu'il avait bon goût… et une sacrée veine !

Dans d'autres circonstances il serait tombé amoureux immédiatement, sujet comme à son habitude à l'un de ses multiples coups de foudre. Mais là il était encore sur le coup de la colère, et fatigué. Malgré tout, c'était une aubaine de l'avoir rencontrée dès son arrivée à Somber, elle allait sans doute pouvoir lui donner les renseignements qu'il cherchait.

Attendez ! dit-il vivement. Ne partez pas !

Son visage se détendit et il sourit finalement, vaguement amusé par la situation mais pressé d'en savoir plus.

Je ne suis assurément pas celui que vous pensez avoir en face de vous ! Je m'appelle Tristan Finley, j'habite Wilmington et je suis à la recherche de ma famille paternelle.

Il plissa un front soucieux et reprit rapidement de peur de la voir s'envoler avant d'avoir terminé.

Je pense que vous pourriez m'en apprendre plus… J'ai vu la photo de mon frère dans un journal, je sais qu'il est en prison et qu'il ne doit pas être bien recommandable… mais je suis à la recherche de mon père, aussi. Est-ce que vous le connaissez ?
Je sais que je risque d'être déçu par la famille que je vais découvrir, mais j'ai besoin de savoir, vous comprenez ?

Puis avec un ton d'excuses :

S'il vous plait… Ne partez pas avant de m'avoir répondu… Après je vous laisse rejoindre votre… votre…

*Elle n'est quand même pas mariée avec ce mal embouché ?*

La jeune femme avait déballé toute sa colère sur l’individu qu’elle prenait pour Micka. On ne pouvait pas le lui reprocher, d’ailleurs. Son ex-fiancé n’était pas censé avoir un frère jumeau lui ressemblant aussi fort, qui plus est, et qui venait la narguer alors même qu’elle se consolait dans les bras d’un autre ! L’alcool aidant, Esse n’aurait jamais pu deviner qu’il s’agissait d’un frère et non de Micka lui-même ! Elle n’avait donc pris aucun gant pour venir agresser l’inconnu et lui dire de déguerpir au plus vite. Elle pensait que la réaction ne se ferait pas attendre, connaissant le caractère si doux de son ex.

Mais à sa grande surprise, il n’en fut rien. C’est une voix la vouvoyant et plutôt calme et amicale qui lui dit de ne pas partir tout de suite. Esse se retourna et eut droit au sourire qui la faisait tant craquer chez Michael… Elle le dévisagea, ne pouvant s’empêcher d’apprécier la vision qui s’offrait à elle et qui lui fit cadeau d’un élan de nostalgie. Elle se reprit et réadopta son air froid.

Elle n’eut pas beaucoup le temps de déployer à nouveau toute sa colère car il reprit la parole et ce qu’il lui dit était des plus surprenants. Il lui expliqua qu’il ne devait pas être celui qu’elle pensait, se présentant sous le nom de Tristan Finley, habitant une autre ville et à la recherche d’un père et de sa famille… Esse crut d’abord à une très mauvaise blague de la part d’un Michael saoul ou vraiment méchant, mais force lui fut de constater que ce n’était pas le cas… Cela expliquait en fait la longueur des cheveux et la tenue vestimentaire quelque peu inhabituelle pour son ex. Plissant son front, lui rappelant assurément Micka malgré tout, il poursuivit. Heureusement, sinon elle aurait répliqué vertement.

Il lui expliqua en effet qu’il avait vu la photo de son « frère » dans un journal, qu’il était accusé de viol et qu’il était en prison… Esse en perdit toute colère, surprise par ce qu’elle entendait, regardant de plus en plus précisément cet homme tant il ressemblait à celui qu’elle aimait toujours, ne pouvant croire qu’une copie conforme existait et que sa vie n’en serait que plus compliquée. Toutefois, il insista sur le fait qu’il était à la recherche de son père et Esse eut un pincement au cœur en pensant aux parents de Micka, décédés il y a de cela plusieurs années déjà… elle-même ne les ayant pas connus puisqu’elle était née la même année. Ajoutant qu’il risquait d’être déçu mais qu’il avait besoin de savoir, il remua en quelques sortes le couteau dans la plaie d’une Esméralda complètement abasourdie par les nouvelles du jour… Que Micka ait un frère était déjà une sacrée nouvelle en soi, mais qu’ils soient jumeaux était invraisemblable, la jeune femme avait vraiment du mal à y croire. S’il était Micka, il jouait parfaitement la comédie !

Prenant alors un ton d’excuse qu’elle ne connaissait plus à son ex, il lui demanda de ne pas partir avant de lui avoir répondu, hésitant sur la dénomination qu’il devait donner à Allan. Elle le regarda encore et encore, le fixant à un tel point qu’il devait la trouver bizarre, puis finit par se ressaisir. Elle respira un bon coup bruyamment et prit enfin la parole.

Eh bien pour une nouvelle ! Tu es vraiment le frère de Micka ?? C’est incroyable ! Incroyable comme tu lui ressembles ! On dirait lui ! Il… il va être surpris ! Content aussi je crois ! Il ne savait pas… en tout cas il ne m’a jamais rien dit !

Puis, réalisant qu’elle ne devait pas être claire pour l’homme en face d’elle, son visage se recomposa, il fut plus accueillant et elle lui fit un petit sourire.

Tristan alors ? Mais pourquoi Finley ? Il s’appelle Michael Dean ! Vous êtes frères pourtant, vous ne pouvez pas vraiment le nier !

Elle réfléchit un moment, évitant la question des parents pour l’instant parce qu’elle ne voulait pas brusquer cet homme qui devait être perdu d’avoir appris une nouvelle pareille dans un journal. Elle ne savait pas quoi lui dire, la situation était tellement étrange ! Et puis était-ce bien à elle de lui dire qu’il n’avait plus de parents ? S’agrippant à une phrase qu’il avait dite, elle dévia le sujet.

Il n’est plus en prison ! En réalité, il a été innocenté… bien qu’il aurait mérité d’être reconnu coupable, au moins il aurait eu une bonne excuse pour être devenu comme il est ! Non il…

Elle eut un peu de mal à parler de lui, encore de lui. Il occupait déjà toutes ses pensées, voilà qu’en plus il empiétait sur ses relations avec les autres… Un bon verre lui aurait fait du bien en cet instant !

Il est innocent, il a refait sa vie… c’est le moins que l’on puisse dire. Mis à part que c’est un enfoiré, il n’est pas le sale con que tu dois imaginer. Il a certes plein de défauts et une vision de la vie complètement tordue, mais il n’est pas le violeur que tu crois… je suis bien obligée de lui reconnaître ça… dit-elle sur un ton amer. Il habite en ville, seul… enfin… officiellement seul. Et euh… je pourrais te donner son numéro, il faudrait que tu l’appelles pour lui annoncer la nouvelle !

*Parce que ne compte pas sur moi pour le faire !* pensa-t-elle immédiatement, regardant toujours cet inconnu qui n’en était pas vraiment un par son physique !

La belle inconnue écoutait ses explications ou plutôt ce qu'il venait de lui demander, à savoir l'informer sur sa famille paternelle si elle en savait un tant soit peu, et continua à le dévisager après qu'il se soit tu. Elle semblait avoir des difficultés à se remettre de sa surprise. L'avantage c'est qu'elle avait chassé son air renfrogné et qu'il la trouvait de plus en plus jolie. Lui aussi la regardait, et il attendait…

Enfin elle respira bruyamment et reprit la parole, le tutoyant tout naturellement. Il apprit ainsi que son frère jumeau s'appelait Micka et que la ressemblance était frappante, l'un étant le sosie de l'autre puisqu'il semblait qu'on puisse les confondre. Elle dit qu'il serait surpris et content mais qu'il ne savait rien, il n'en avait jamais parlé.
Et enfin elle lui sourit…

J'ai eu la même réaction quand je ME suis vu dans le journal ! répondit Tristan en souriant. Ensuite j'ai du m'asseoir ! Je dois avouer que ça m'a fait un choc, je me suis toujours cru fils unique…

¤ Tristan alors ? Mais pourquoi Finley ? Il s’appelle Michael Dean ! Vous êtes frères pourtant, vous ne pouvez pas vraiment le nier ! ¤ reprit-elle

Il se frotta le dessus de la tête, ignorant qu'il avait le même geste que son frère quand il était perplexe.

Oui, Tristan Finley… Je n'y comprends rien moi-même… Le nom de jeune fille de ma.. enfin de notre mère sans doute. Mais ce que je ne comprends pas…

Tu verrais un inconvénient à aller nous asseoir là ? demanda-t-il en montrant un banc situé sur le côté de la station service.

Il l'entraîna par là et s'assit, essayant de ne pas laisser errer son regard sur ses cuisses nues quand elle vint s'installer à côté de lui.

…Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi on a séparés des jumeaux… Pourquoi ma mère a laissé son autre fils ? Est-ce que mes parents ont divorcé et que ma mère est partie avec moi et a laissé… Micka à mon père ? Ma mère n'a jamais voulu me parler de lui, je ne sais rien, c'est pourquoi je suis venu ici chercher des réponses…
Il se peut qu'il en sache plus que moi…

Et mon père… tu le connais ? demanda-t-il avec espoir.

Mais la jeune femme ne répondit pas à sa question, préférant parler de son frère. Elle informa Tristan qu'il n'était plus en prison et qu'il avait été innocenté, ce qui fut un poids de moins sur le cœur du jeune homme. Apprendre qu'on a un frère criminel n'est jamais très joyeux, surtout quand on ne s'y attend pas.

Elle enchaîna en lui disant que son frère aurait mérité de ne pas être libéré, ce qu'il trouva un peu rude, surtout si celui-ci était innocent. Mais il se tut, ne tenant pas à la mettre de mauvaise humeur à nouveau de crainte qu'elle se referme.
Son jumeau était innocent donc, et selon les dires de sa voisine de banc il avait une vision de la vie complètement tordue mais il n'était pas un violeur. Il avait refait sa vie, précisa-t-elle, et elle le dit avec une telle amertume qu'il comprit qu'elle devait l'avoir aimé, ou l'aimait encore peut-être.

Enfin, après lui avoir dit qu'il vivait seul "officiellement" elle lui proposa de lui donner son numéro de téléphone pour que Tristan l'appelle.

Je ne sais pas… Il va avoir un choc, non ?

Il rit et simula une communication téléphonique.

Salut, je suis ton frère jumeau ! On se voit et on se fait une bouffe ?

Puis il reprit plus sérieusement. Je vais commencer par chercher un hôtel, et je vais peut-être lui écrire, ça lui laissera le temps de se faire à l'idée… Si tu as son adresse je vais sans doute commencer par là.
Et puis j'ai une nouvelle peu plaisante à lui apprendre… Notre mère est décédée depuis peu. Je sais bien qu'il ne l'a pas connue s'il a été élevé par notre père, mais sa réaction première va sûrement être de vouloir la voir…

Il sombra dans de tristes pensées quelques instants puis se reprit et sourit à nouveau à la jeune femme.

Et… heu… je peux connaître ton nom ? Tu sembles bien le connaître…

Il regretta aussitôt ses paroles, conscient qu'il venait de commettre une bévue, et afficha involontairement un visage de gamin pris en faute.

Le jeune inconnu expliqua à Esméralda qu’il avait eu lui aussi quelques difficultés à se remettre de sa surprise en se voyant dans le journal, accusé de viol. Il fallait le comprendre, ce n'était pas le genre de nouvelle qu'on aimait voir et qui était banal ! Puis, il avait rapidement compris et avait dû s’asseoir face à la nouvelle. Il lui expliqua qu’il s’était toujours cru fils unique et apprendre de cette façon qu’on avait un frère ne devait pas être simple, conclut Esse. Elle l'observait toujours, ne se lassant pas de le regarder. Elle y voyait Micka et ne pouvait s'empêcher d'être nostalgique. C'était comme une deuxième rencontre avec son ex... une histoire parallèle, où tout leur passé douloureux n'existait plus. Ce genre de processus était dangereux mais il était plus fort qu'elle. Pourtant, elle ne devait pas le prendre pour son frère. Il était unique, au même titre que Micka. Il ne partageait que le même physique et n'avait rien d'autre en commun puisque Micka n'était même pas au courant ! Seulement, c'était facile... c'était très facile de s'imaginer qu'on avait une seconde chance avec quelqu'un qu'on aimait et qu'on détestait tout à la fois... Elle tenta de se ressaisir, pour ne pas l'effrayer. Il ne savait pas que la rupture était encore toute fraîche et n'y pouvait rien. Peut-être même était-il préférable qu'il ne sache pas tout...

Quand elle lui demanda pourquoi il s’appelait « Finley » alors que Micka avait pour nom de famille « Dean », il se gratta la tête exactement à la façon de son frère, ce qui chaque fois suscitait un petit pincement au cœur de la jeune femme qui avait décidemment beaucoup de difficultés à accepter la nouvelle d’un double de celui qu’elle devait détester le plus au monde en ce moment.

Il lui dit qu’il ne comprenait pas plus qu’elle, puis évoqua sa mère en disant qu’elle lui avait sûrement donné son nom de jeune fille. Esse ne dit rien, parce qu’il lui proposa d’aller s’asseoir, mais le fait qu’il parle de sa mère la surprit et la mit mal à l’aise. A l’entendre, il l’avait connue… or c’était impossible puisque la mère des deux frères était morte il y a 20 ans déjà ! A moins que celle qui se prétendait la mère de Micka ne soit en réalité qu’une femme qui s’était fait passer comme telle. Cette idée submergea Esse qui en eut presque un haut le corps. Si tel était le cas, Micka aurait besoin de soutien car sa mère était un sujet douloureux dont les cicatrices ne s’étaient jamais refermées… et ne se refermeraient sans doute jamais.

Esse se rappela à cet instant ce qu’elle avait dit à Micka en partant, lorsqu’ils s’étaient séparés, et elle le regretta amèrement, se disant qu’il y penserait forcément lorsqu’il apprendrait que sa mère n’était en réalité pas sa mère biologique…
Tristan la sortit de ses pensées en poursuivant son idée, disant qu’il ne comprenait pas pourquoi on avait séparé deux jumeaux de la sorte. Il supposa que leur vraie mère avait abandonné Micka, puis sans doute qu’il y avait dû y avoir un divorce et que son frère était donc parti avec leur père… Esse n’y comprenait plus rien à vrai dire… Le père de Micka était mort en même temps que sa « mère » mais Tristan n’avait pas l’air au courant de ce qu’il était arrivé à son paternel ! La vérité allait finalement faire mal à beaucoup de gens et Esse ne se félicita pas d’être celle qui allait devoir annoncer les mauvaises nouvelles ! Il lui demanda alors avec un air de petit garçon complètement déconcertant si elle connaissait son père et elle baissa les yeux par réflexe.

Elle lui parla plutôt de Micka en des termes amers, ne cachant pas sa déception quant à cet individu qu’était devenu le jeune homme. Quand elle lui proposa le numéro de Micka, il émit quelques hésitations, pensant qu’il aurait un choc – mais Esse se fichait pas mal qu’il en ait un ou non, sa colère venait de remonter en bloc envers Micka ! Elle n’en montra rien car Tristan imita une conversation téléphonique du genre et rit, ce qui lui donna ma foi un air aussi charmant que celui de son frère lorsqu’il riait sincèrement. Esse ne put s'empêcher de sourire et de prendre part à cette conversation qui devenait bien plus agréable depuis qu'elle savait qui il était et pourquoi il était là. Dieu qu'il était mignon ! Oui, évidemment ! Elle avait toujours trouvé Micka très à son goût ! Pourtant Tristan, elle n'avait pas le droit de le regarder de la même façon, avec ce désir inscrit dans les yeux, un message que n'importe qui croisant son regard comprendrait ! Il lui était difficile de ne pas désirer ce corps et ce physique qu'elle connaissait si bien... Pourtant, la personne n'était pas la même, elle le savait. Il avait son caractère propre, sa façon d'agir, d'être... il avait des ressemblances avec son frère comme son sourire... ah ce sourire... ou sa façon de se passer la paume de la main sur le dessus de la tête... Bon sang, il fallait vraiment qu'elle fasse attention ! Il n'était pas Micka et de toute façon, elle ne voulait plus de Micka !

Tristan lui dit alors qu’il allait chercher un hôtel et écrire à son frère si elle voulait bien lui donner son adresse. Puis il lui expliqua qu’il avait une mauvaise nouvelle puisque leur mère était morte il y a peu, Esse pensa décidemment que Micka n’avait de chance avec aucune de ses mères… Tristan afficha une mine triste mais se ressaisit assez vite et lui demanda comment elle s’appelait… ajoutant qu’elle semblait bien connaître Micka…

La mine de la jeune femme imita celle de Tristan quelques secondes plus tôt. Elle fronça tristement les sourcils et avala difficilement. Elle mit un certain temps avant de relever les yeux et de prendre la parole.

Tu sais… hum… non en fait je ne le connais plus vraiment… Beaucoup de choses se sont passées et depuis rien n’est plus comme avant… enfin soit… Esméralda... je m'appelle Esméralda.

Elle ne savait comment amener le sujet concernant leurs parents sur le tapis sans le décevoir.

Je… je ne comprends pas bien votre histoire… tu me parles de votre mère mais… Micka avait une mère ici… Je suis désolée pour la tienne...

Elle se permit d’employer le passé concernant leur mère puisque Tristan semblait avoir eu sa part du gâteau. Mais il avait l’air si plein d’espoir concernant leur père qu’elle ne savait comment lui dire… devait-elle lui dire, d'ailleurs ? Il allait peut-être lui en vouloir de lui briser ses espoirs à peine arrivé ! En même temps, il ne fallait pas qu'il croit au miracle trop longtemps au risque de tomber de haut ! Esse tergiversait et resta silencieuse un long moment.

Qui est votre vraie mère dans cette histoire ? dit-elle pour gagner du temps et ne pas aborder la question posée quelques minutes plus tôt…

Tu devrais peut-être parler de ça avec lui… je… je ne suis sans doute pas bien placée pour ça moi… tenta-t-elle comme première esquive. Je ne comprends pas tout, peut-être que Micka m'a caché des choses... Je ne veux pas... je ne veux pas faire de bêtise alors que votre relation n'a même pas encore commencé... je ne sais même pas comment il va réagir... il est si différent. Prépare-toi au pire, on ne sait jamais...

Elle réalisa ce qu'elle venait de dire et releva brusquement la tête pour croiser le regard de Tristan.

Je suis désolée, je ne voulais pas dire ça mais... rho c'est pas vrai ! Je ne suis pas objective pour tout ça, tu devrais lui parler à lui tu sais... c'est... trop compliqué... dit-elle alors en se perdant totalement dans ses yeux bleus si familiers...

La jeune fille, était perplexe, autant que Tristan sans doute. Pourquoi en effet les deux jumeaux ne portaient-ils pas le même nom de famille ? C'était un des points qu’il voulait éclaircir et il avait le projet de consulter les archives de la ville, ou peut-être de contacter quelqu'un au journal local, ce serait sans doute plus rapide que de faire des recherches dans les mairies afin de savoir où il était né.

Bien évidemment, son frère pourrait certainement lui apporter la réponse quant à son lieu de naissance, mais qui sait s'ils étaient nés à Somber ?
Quoiqu'il en soit, le plus urgent était de faire connaissance avec celui dont Esméralda était en train de lui parler.

Esméralda… dit-il en souriant. Joli prénom, très original… Ca me rappelle une histoire écrite par un écrivain, français je crois, et qui a été montée depuis en comédie musicale. Je l'ai vue à Broadway…

Il regarda la jolie fille au prénom d'héroïne, montrant la même curiosité que celle avec laquelle elle l'observait, sans doute désorientée par sa ressemblance avec son frère. Ressemblance à quel point ? Lui aussi avait hâte de le connaître…
Sans doute avait-il été le Phoebus d'Esméralda, mais il n'osa pas lui poser la question de cette façon et remuer certainement de mauvais souvenirs pour la jeune fille. Et puis elle ne semblait plus seule, apparemment.

¤ Je ne comprends pas bien votre histoire… tu me parles de votre mère mais… Micka avait une mère ici… Je suis désolée pour la tienne... ¤ reprit Esméralda.

C'est gentil… dit-il, remarquant qu'elle avait employé le passé.

…Donc Micka avait eu une mère à Somber City… Ou au moins son père avait refait sa vie. Mais elle avait disparu, elle aussi vu la façon dont la jeune fille en parlait. Et elle n'avait toujours pas répondu concernant son père. Lui sans doute pourrait éclaircir tout de suite le mystère et c'était l'une des premières personnes qu'il devrait rencontrer, indépendamment de l'impatience qu'il ressentait.

Esméralda le tira de ses pensées en lui demandant qui était leur vraie mère dans cette histoire.

Mais la mienne ! … Enfin, la nôtre… répondit-il instantanément, alors qu'une seconde plus tard un doute venait soudainement l'effleurer.

Il ne s'était même pas posé la question tant la réponse lui semblait évidente.
Désarmé, il se frotta à nouveau la tête, ébouriffant involontairement ses cheveux.

Je n'ai pas imaginé une seconde que ce ne puisse pas être elle… dit-il tout bas à la jeune fille devenue silencieuse. Sans doute que notre père s'est remarié, tu ne penses pas ? C'est certainement l'autre, notre belle-mère, qui a élevé Micka, tu ne crois pas ? Ca serait logique, à mon avis. Un couple se sépare, la mère emmène un de ses fils et le père resté seul rencontre une autre femme qui élève le second fils avec lui ?

Je me demande lequel de nous est né le premier… pensa-t-il à voix haute.
…Micka… J'imagine que son vrai prénom est Michael ?

La jeune femme reprit, disant qu'elle ne comprenait pas tout et qu'il était possible que Micka lui ait caché des choses. Elle n'était pas la seule et Tristan nageait aussi en plein brouillard.
En fait elle refusa d'en dire plus, argüant qu'elle ne voulait pas faire de bêtises et gâcher son premier contact avec son frère.
Elle précisa qu'elle ne savait même pas comment son jumeau allait réagir, disant qu'il avait changé, et lui conseilla de se préparer au pire.

Ce n'était pas très engageant. Que c'était-il passé ? La prison sans doute, surtout s'il était innocent...

Tu veux dire que l'incarcération l'a changé ? S'il était inculpé pour crime, le viol en est un, il a du sans doute vivre dans un environnement assez terrible, au milieu d'autres criminels dont la plupart d'entre eux sont loin d'être innocents. Il n'était peut-être pas armé pour vivre dans ce contexte là, en compagnie de ces gens… répondit Tristan, prenant involontairement sa défense.

Esméralda s'excusa, disant qu'elle ne voulait pas dire ça mais qu'il devrait contacter Micka parce qu'elle n'était pas assez objective et que tout était trop compliqué.

Tu as raison, il faut que je le rencontre… et mon père aussi.

Puis il réalisa que les deux mères potentielles n'étaient plus là et une angoisse le prit. Et si… ?

Tu ne m'as pas répondu à son sujet ? Il va bien, il habite ici ? Ne me dis pas que lui aussi… Il n'y a que lui qui ait toutes les réponses !!! s'exclama-t-il.
Micka a encore son père ??

Ils restèrent un moment tournés l'un vers l'autre, occupés à se regarder dans les yeux sans dire un mot. Outre l'inquiétude qui le gagnait Tristan était plongé dans un sympathique bien-être, avec une impression de complicité partagée alors qu'il ne la connaissait même pas…

Puis il sortit de son silence et s'arracha au regard noisette, se faisant rassurant pour ne pas l'effrayer et qu'elle lui refuse une nouvelle fois une explication.

Réponds si tu connais des détails méconnus de moi, s'il te plait… dit-il doucement. Je souhaite le connaître, c'est vrai, mais je n'ai aucun souvenir de lui, j'ignore même à quoi il ressemble. Alors si tu sais quelque chose que j'ignore je préfèrerais que tu me le dises…

A l’énoncé de son prénom, le jeune homme sourit en réponse à Esméralda, qualifiant son prénom de joli et original. Puis il évoqua les origines de ce prénom français, parlant d’une histoire dont ils avaient fait une comédie musicale. Bien entendu, Esméralda savait ça. Elle sourit à son tour.

Oui ! La mère de Micka était française, c’est elle qui l’a évoquée à ma mère juste avant que…

Elle s’arrêta. Juste avant l’accident, en réalité. La mère et le père de Micka étaient morts quelques temps avant la naissance de la jeune femme qui ne les avaient jamais connus.

Enfin, c’est elle qui a donné l’idée à ma mère, du coup j’ai un prénom français… comme toi ! dit-elle alors spontanément. Puis, l’espace de quelques secondes, elle se tut, et réalisa ce que cela pouvait signifier…

Ta mère… elle était française ? demanda-t-elle pour finalement savoir laquelle des deux était la vraie mère, dans l’histoire. La conversation se poursuivit d’ailleurs dans ce sens puisque, quand Esméralda lui dit qu’elle était désolée pour sa maman décédée, il la remercia, puis quand elle lui demanda finalement qui était la mère biologique, il répondit spontanément que c’était la sienne. Il poursuivit alors après une seconde de réflexion. Il lui expliqua qu’il n’avait même pas pensé que sa mère ne pourrait en fin de compte pas l’être biologiquement parlant. Il pensa à haute voix, disant que la mère de Micka devait en fait être sa belle-mère, la nouvelle épouse de leur père. Esméralda suivit attentivement son raisonnement et en conclut qu’il n’était pas prêt à entendre que sa mère n’était pas la bonne… Elle venait de mourir, il faut dire, alors il n’avait peut-être pas envie d’entendre qu’elle lui avait menti… du moins si c’était le cas.

Tout cela était tout de même compliqué. On leur aurait menti, tout ce temps ? Mais pourquoi ?? Les parents de Micka, qu’Esméralda pensait les vrais, auraient pu mentir tout ce temps ? Et abandonner un de leurs fils ? C’était un acte très étrange pour des gens comme eux, surtout qu’ils avaient les moyens d’élever deux garçons, et qu’il n’avait jamais été question de divorce entre eux ! Alors quelle était la véritable histoire ? Esse soupira profondément, tandis que Tristan pensait à voix haute en se demandant lequel des deux était né le premier.

La jeune femme sourit à l’évocation de leur naissance. Elle se surprit à imaginer son enfance avec non pas un Dean mais bien deux, identiques, mais aux caractères bien différents. Elle s’imagina assaillie par deux chevaliers noirs, Matt et Micka, tandis que le chevalier blanc, Tristan, venait la sauver des deux autres… Un sourire nostalgique s’inscrivit sur ses lèvres tandis qu’elle regardait sans s’en rendre compte Tristan d’une drôle de façon.

Le jeune homme la sortit de ses pensées tandis qu’elle regrettait qu’il ne fasse pas partie de ses si jolis souvenirs d’enfance, lui demandant si le réel prénom de Micka était Michael. Elle fit oui de la tête en baissant les yeux.

Quand ils parlèrent de la prison, Tristan demanda si c’était son incarcération qui l’avait changé. Il développa son idée comme quoi la prison devait changer un homme et au fil de ses paroles, Esse sentait une boule de rage se développer dans le creux de son ventre. Relevant la tête, elle le fixa avec un air méchant, très en colère.

Tu le défends ?! Tu ne le connais même pas et tu ne sais pas ce qu’il a fait, je t’interdis de le défendre sans savoir ! dit-elle avec véhémence, les larmes aux yeux sans qu’elle ne puisse se contrôler. Se levant, elle fit les cents pas tandis que sur le même ton emporté, elle poursuivait. Tu ne sais rien de lui, tu ne sais pas ce qu’il a fait ! Tu ne sais pas ce qu’il M’a fait ! Alors surtout ne le défends pas en ma présence !!!

Elle se tut, mais continua à marcher de long en large devant lui, en colère et triste. Elle avait mal, dieu qu’elle avait envie de boire à ce moment précis. Le sujet du père des deux hommes était toujours en suspens et Tristan tenta une approche. Qu’en était-il de son père ? Mais bien vite, il craignit ce qui était en fait la réalité. Il dit qu’il était le seul qui pourrait savoir, puisque les deux mères étaient mortes, mais demanda à Esméralda où il était.
Puis, comprenant sans oser se l’avouer sans doute, il lui dit qu’il désirait connaitre la vérité, peu importe la teinte qu’elle avait. Doucement, il tenta de la mettre en confiance pour qu’elle lui dise ce qu’elle avait refusé d’avouer jusque là.

Esse vint se rasseoir, hésita un moment puis prit les mains de Tristan dans les siennes et le regarda dans les yeux. Un mauvais « bon » souvenir lui revint à l’esprit, elle eut une fois de plus la sensation de se trouver face à Micka. Mais chassant son inconscient de l’histoire, elle le fixa.

Je suis désolée… votre père… Les parents de Micka sont tous deux morts dans un accident… un peu avant ma naissance… Micka avait 6 ans. Depuis, on s’est rarement quittés. C’est un sujet encore très douloureux pour lui, surtout en ce qui concerne sa mère, qu’il aimait par-dessus tout. Je… je ne voulais pas te le dire parce que ce n’est pas à moi de le faire mais il est inutile que tu te fasses de faux espoirs… je suis désolée… dit-elle alors, toute calme et compatissante à l’égard de ce jeune homme qu’elle avait tant l’impression de connaître.

Esméralda précisa qu'elle portait un prénom français comme Tristan, jetant celui-ci dans l'angoisse, d'autant qu'elle lui demanda si sa mère était française, comme celle de Michael. Il baissa les yeux pour répondre.

Non… ma mère était 100 % américaine… Enfin je crois… Elle ne m'a pas beaucoup parlé de mes grands-parents…

C'était inconcevable pour lui que ce soit sa propre mère qui ait pu lui mentir. Et comment serait-il possible qu'il ait été adopté sans que Michael le sache ? Et il en revenait toujours à la même question : comment avait-on pu séparer deux jumeaux ? Et pourquoi ?
Il n'y comprenait rien et il fallait vraiment qu'il rencontre Micka afin de savoir s'il en savait plus que lui.
Ou alors... ? Ils n'auraient quand même pas osé… ?

Ils étaient très pauvres, les parents de Michael ? demanda-t-il brusquement à Esméralda en relevant les yeux vers elle.

Franchement non, ça ne tenait pas debout ! Ces choses-là pouvaient arriver dans des pays du tiers monde, malheureusement, mais pas ici, pas en Amérique ! Ils ne l'auraient pas "vendu" à une famille plus riche… Et puis sa mère ne l'était pas, de toute façon, elle n'aurait pas pu l'adopter moyennant finances ! Non, cette supposition ne ressemblait à rien…

Retour à la case départ : rencontrer son jumeau.

Il rêvassa, pensant à ce frère qu'il ne connaissait pas, se demandant s'il était sympa ou s'il serait hostile. Malgré tout, quelle que soit l'issue, il avait hâte et était rongé de curiosité.

Lorsque la jeune fille lui parla de Michael et de son changement de comportement il prit malgré lui sa défense. C'était évident pour lui que la prison, surtout si c'était un pénitencier d'état, avait du le changer. Mais ça ne semblait pas évident à Esméralda qui se fâcha instantanément.
Elle lui reprocha de le défendre sans le connaître, soulignant qu'il ne savait pas ce qu'il avait fait et lui interdit de le défendre sans savoir.
Interloqué, Tristan dévisagea Esméralda, gêné de lui voir les yeux pleins de larmes. Elle se leva, fit les cent pas et poursuivit d'un ton emporté :

¤ Tu ne sais rien de lui, tu ne sais pas ce qu’il a fait ! Tu ne pas ce qu’il M’a fait ! Alors surtout ne le défends pas en ma présence !!! ¤

Tristan se mit à imaginer des scénarii plus dramatiques les uns que les autres, puis se dit que le mieux était d'éviter d'aborder le sujet Michael en sa présence.

Je… d'accord. Je ne parlerai plus de lui, ne te fâche pas. fit-il, l'air penaud.

Il se dit que la conversation n'allait pas être facile et qu'il aurait du mal à la prolonger. Et puis le temps passait et il l'empêchait de dormir. L'entêté là-haut devait se demander ce qu'elle faisait, la nuit était moins noire, déjà.
Pourtant lui aurait bien continué à parler jusqu'au matin, au moins jusqu'à ce que l'olibrius lui fournisse de l'essence.

Peut-être que ça lui ferait ombrage qu'Esméralda ait passé la nuit à parler avec lui ? Ce serait une douce vengeance pour son manque de coopération et Tristan esquissa un léger sourire en coin à l'idée de la tête qu'il pourrait faire en trouvant au matin la jeune fille toujours en conversation avec lui. Il lui aurait au moins foutu le reste de sa nuit en l'air !
Mais il ne fallait pas rêver non plus… Elle devait être fatiguée et allait sûrement partir, profitant de sa colère pour le planter là…

Il fit une tentative, lui demandant d'être franche à propos de son père, réalisant qu'elle évitait de répondre lorsqu'il posait des questions à son propos.
L'inquiétude lui tordit le ventre quand elle revint s'asseoir et lui prit les mains, sans doute pour lui apprendre une mauvaise nouvelle. Instinctivement ses doigts se refermèrent sur les siens, appréhendant la suite.
Il apprit en effet que les parents de Micka étaient morts tous les deux dans un accident lorsque Micka avait 6 ans. C’était un sujet très douloureux pour son frère, surtout concernant sa mère qu'il aimait par-dessus tout.

¤ Je ne voulais pas te le dire parce que ce n’est pas à moi de le faire mais il est inutile que tu te fasses de faux espoirs… je suis désolée… ¤ dit-elle avec compassion.

Non… répondit-il sans lâcher ses mains. Je te remercie d'avoir été franche, j'aurais eu de faux espoirs, effectivement… répondit-il gentiment.

Puis un sourire fleurit sur son visage, pour la rassurer et lui montrer qu'il était reconnaissant qu'elle en ait parlé. Il la regarda un instant, détaillant inconsciemment les traits du joli minois, imaginant que son jumeau était sorti avec elle et qu'il aurait pu être à la place de son frère, pourquoi pas, puis s'aperçut qu'il tenait toujours ses longs doigts serrés entre les siens et les lâcha brusquement, rougissant imperceptiblement.

Il se demanda ce qu'elle pensait de lui à cet instant et se dit qu'il devait avoir l'air totalement idiot.

Je… heu… Tu dois avoir sommeil… Je suis désolé, je t'empêche de dormir…
Sinon…

Il se râcla la gorge avant de continuer :

J'ai un pack de jus de fruit dans ma voiture. Si ça te dit…

* Elle doit avoir hâte de retrouver son copain, ou son mari ou que sais-je… C'est du grand n'importe quoi, Tristan… *

La question de la mère des jumeaux était épineuse, compliquée et risquait grandement de faire du mal aux deux protagonistes ou tout du moins à celui à qui on aurait menti. Bien que, de toute façon, la raison pour laquelle on les avait séparés risquait d’être douloureuse pour tout le monde. Esse en avait bien conscience mais la vérité valait mieux que des illusions, de faux espoirs et des mensonges.
Quand Tristan lui répondit que sa mère était bien 100% américaine, la lumière se fit quelque peu, pour tous les deux. Il y avait de grandes chances que ce soit la mère de Micka qui ait donné un nom si français à Tristan… donc leur mère, la vraie. Esse voyait que ses pensées allaient dans tous les sens, il devait être perturbé, la vérité n’allait pas être simple… Soudainement, il demanda si les parents de Micka étaient très pauvres. Esse fronça les sourcils puis comprit où il voulait en venir et se voulut rassurante, lui affirmant qu’ils avaient laissé à Michael un héritage important.

Et puis ils parlèrent de Micka. Esse s’emporta franchement quand Tristan le défendit alors qu’il ne l’avait même jamais vu ! Après tout, elle, Esméralda, l’avait connu toute sa vie, elle le connaissait par cœur, bien mieux que ce frère venu de nulle part ! Alors pourquoi se permettait-il de prendre directement le parti de Micka ? C’était injuste ! C’est elle qui souffrait dans l’histoire, lui s’en fichait éperdument ! Et pourtant tout le monde le soutenait !
Doucement, Tristan lui demanda de ne pas se fâcher, assurant qu’il ne parlerait plus de son frère. Esse était blessée, il venait de passer un nouveau couteau dans sa plaie encore largement ouverte. Mais ses interrogations à propos de leur père lui firent pitié et elle mit sa colère et sa tristesse de côté un moment.

Quand elle lui prit les mains en un geste compatissant, sans vraiment réfléchir, il réagit lui aussi instinctivement puisqu’il resserra ses doigts autour des siens. Elle y jeta un œil, frissonna de manière imperceptible tant ce contact, si différent depuis qu’il y participait, la perturbait. Elle craignait qu’il réagisse mal à l’annonce de la mort de leur père mais il la remercia, sans lâcher ses mains, lui disant qu’il préférait savoir la vérité plutôt que d’avoir de faux espoirs. Le cœur de la jeune femme battait inexplicablement trop vite. Et elle n’avait pas la moindre envie qu’il lui lâche les mains. Micka la poursuivait décidemment partout, particulièrement quand elle avait son double en face d’elle…

Quelques secondes de silence s’ensuivirent, tandis que leurs yeux se fixaient, qu’il la détaillait d’un regard doux et tendre, comme elle rêvait que Micka la regarde à nouveau, l’amour en plus… L’instant sembla éternel tant il était agréable, il ne fallait pas le nier. Mais la ressemblance des deux frères n’y était pas étrangère, bien sûr. Elle ne connaissait pas du tout Tristan et hormis physiquement, elle ne pouvait pas être attirée par lui. Mais leur ressemblance était telle et la rupture si récente encore qu’elle faisait une espèce de transfert malsain qui la plongeait dans un torrent de nostalgie destructrice.

Tristan mit fin à ce moment en lâchant les mains de la jeune femme. Hésitant, il parla en cherchant ses mots, lui disant qu’elle devait avoir sommeil et qu’il l’empêchait de dormir… Elle eut un petit sourire triste, mais le « sinon » de Tristan l’intrigua et elle le laissa poursuivre. Se râclant la gorge, il lui proposa alors de rester un peu, disant qu’il avait de quoi boire. Juste du jus de fruits, en vérité, alors qu’elle aurait adoré une boisson franchement alcoolisée. Après tout, ces évènements étaient riches en émotions pour elle aussi. Elle était si proche de Micka, de sa famille, de son histoire, qu’elle ressentait presque au même titre que les deux concernés toutes les émotions bouleversantes d’un tel changement. D’autant plus qu’il ressemblait trait pour trait à celui qu’elle aimait toujours, ce n’était pas une situation facilement gérable. Encore plus avec une sensibilité comme celle, à fleur de peau, d’Esméralda.

La fin de sa phrase avait été dite plus bas, comme s’il était gêné et ça ne rendait son charme que plus attrayant encore. Elle le fixa un moment, puis son regard se posa sur la fenêtre de la chambre d’Allan. Le pauvre, il devait s’impatienter. Mais elle ne lui devait rien et surtout, elle espérait qu’il comprendrait que la situation était grave et perturbante… Il ne savait pas grand-chose d’elle mais elle lui expliquerait, elle voulait qu’il comprenne… elle voulait sans doute le revoir, elle avait passé une nuit très agréable avec lui et il semblait si sensible qu’elle était persuadée qu’il pourrait lui apporter beaucoup… Mais sans attache, là-dessus elle ne changeait pas d’avis. Sans doute seraient-ils des amis « améliorés », du moins s’il était d’accord…

Son attention se reporta sur Tristan à qui elle adressa un sourire mitigé. Sa compagnie ne lui était pas désagréable, loin de là, elle comblait un vide qu’elle ne parvenait pas à gérer. Mais elle savait que c’était malsain et surtout, elle craignait qu’il ne vienne encore à défendre son frère, ce qu’elle ne pouvait supporter. Elle souffrait déjà beaucoup, si en plus sa souffrance n’était pas reconnue, elle ne pouvait l’accepter !

Eh bien… oui, je peux rester un peu… finit-elle par dire en baissant les yeux, trouvant la situation étrange, sa tenue encore plus avec un homme qui ressemblait à son ex mais qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Dommage que tu n’aies pas d’alcool, ça aurait sans doute mieux fait l’affaire ! dit-elle en le suivant jusqu’à sa voiture où il prit le jus de fruits.

Ils retournèrent ensuite vers l’endroit où ils étaient assis auparavant et Tristan lui tendit la bouteille. Elle en but quelques gorgées puis lui tendit afin qu’il en fasse de même. Elle lui jeta un regard en coin.

Tu lui ressembles beaucoup, même dans tes attitudes… c’est étrange, parce que vous n’avez pas été éduqués ensemble… mais je le vois en toi. C’est… perturbant… très perturbant… dit-elle en finissant tout bas à son tour. Tu devrais me raconter ta vie ! Je connais tout… enfin presque tout de celle de Micka, j’ai envie de connaître la tienne aussi ! C’est dommage qu’on ne se soit pas connus enfants, on se serait bien amusés tous les cinq… dit-elle alors d’un air rêveur, imaginant qu’elle serait tombée amoureuse de Tristan plutôt que de Micka et que lui ne lui aurait jamais fait l’affront de la berner à deux reprises ! Un doux rêve qu'elle faisait chaque fois qu'elle pensait à Michael... ne jamais avoir été aussi naïve...

Tristan ignorait s'il aurait ou non l'occasion de rencontrer à nouveau son interlocutrice. C'était peu probable, la ville était grande et de plus elle ne faisait plus partie des relations de son frère étant donné la réaction qu'elle avait eu quand il avait pris sans réfléchir la défense de ce dernier. Intrigué, il se demandait ce que Michael avait bien pu lui faire, mais il ne le saurait sans doute jamais puisqu'elle n'était pas prête à étaler sa vie devant un inconnu, et comme il ne connaissait pas son jumeau il n'apprendrait rien de ce côté-là non plus.
De toute façon, lui n'était que de passage. Dès qu'il saurait la vérité sur ses origines véritables il retournerait à Wilmington et ne reverrait sans doute jamais les Sombériens. A moins que son frère n'insiste pour qu'ils se voient de temps en temps. Seulement, un détail d'importance risquait de les séparer : les parents de Micka lui avait laissé un héritage important…
Mal à l'aise, il livra ses pensées à Esméralda.

… S'il a reçu un héritage important il va penser que je viens recevoir ma part… Or ce n'est pas pour cette raison que je suis venu. Je veux savoir d'où je viens, tu comprends ?
J'ai vécu jusque là en me serrant la ceinture et je me fiche de cet héritage. Je ne les connaissais pas et je n'ai pas le sentiment que j'y ai droit… Lui, c'était leur fils, ils l'ont élevé…
Moi… je ne sais pas, je ne sais plus très bien qui je suis…

Il regarda au loin, perdu dans des réflexions qui l'amenait toujours au même point : la mère de Michael était française, et pas la sienne. Et Tristan avait un nom français…
C'était sûrement une coïncidence, beaucoup d'américains donnaient à leur enfant un prénom français, c'était un phénomène de mode, tâchait-il de se persuader. Sinon, c'était trop perturbant. Sa mère ne pouvait être que sa véritable génitrice, elle ne pouvait pas lui avoir menti pendant plus de 26 ans…

Malgré tout, il savait que les recherches qu'il allait entreprendre allaient être plus difficiles qu'il ne l'imaginait au départ, beaucoup plus chargées d'angoisses. Et si à l'inverse il devait apprendre à Micka que c'était sa mère qui n'était qu'une usurpatrice sa tâche ne serait pas agréable non plus. A moins que son jumeau sache qu'il avait été adopté…

Déstabilisé, il passa à nouveau sa main dans ses cheveux, geste qui précédemment n'avait pas échappé à Esméralda.

Je suis un peu paumé… murmura-t-il en la regardant à nouveau.

Puis elle lui prit les mains et il lui confia ses craintes. Leurs regards s'accrochèrent et leurs mains se joignirent, et il remarqua comment elle le regardait. Elle devait sans doute penser à son jumeau et ce contact avait du la troubler, raison pour laquelle il la lâcha brusquement, gêné par cette intimité apparente qui n'en était pas une puisqu'ils ne se connaissaient pas.
Tristan ignorait tout de ce frère tombé du ciel, et il ne tenait pas à ce qu'on le confonde avec lui. Il avait son identité propre et n'était calqué sur personne.

Il se peut que nous soyons très différents… conclut-il en sautant du du coq à l'âne, terminant à haute voix un cheminement qu'elle n'avait sans doute pas suivi.

Elle accepta ensuite le jus de fruit tout en regrettant que ce ne soit pas de l'alcool. Elle faisait sans doute partie de celles qui brûlent la chandelle par les deux bouts, se dit-il avec regret. Comme les filles qu'il avait fréquentées jusque là. Dommage… Un instant il l'avait crue différente, et il se demandait bien pourquoi. De toute façon ce n'était pas ses affaires…

Ils se partagèrent la bouteille sans parler, jusqu'à ce qu'Esméralda lui jette un retard en coin.

Tu lui ressembles beaucoup, même dans tes attitudes… c’est étrange, parce que vous n’avez pas été éduqués ensemble… mais je le vois en toi. C’est… perturbant… très perturbant… murmura-t-elle, répondant soudain à sa dernière observation.

Elle lui dit ensuite qu'il devrait lui raconter sa vie. Elle connaissait presque tout de celle de Micka et souhaitait connaître la sienne aussi.
Elle ajouta que c'était dommage qu'ils ne se soient pas connus enfants car ils se seraient bien amusés tous les cinq.

Tous les cinq ? remarqua-t-il, surpris. J'ai d'autres frères et soeurs ?

C'était pourtant vrai que ça ne l'avait même pas effleuré. Après tout il ne savait pas de combien de membres sa famille, ou prétendue telle, était composée.

Tu sais, ma vie est beaucoup moins intéressante que celle de mon frère, qui lui a vécu entouré et protégé dans une cage dorée.
Il n'y avait pas beaucoup d'argent à la maison… Ma mère m'a élevé seul dans un quartier qui n'est pas ce qu'il y a de plus chic… Au début mes fréquentations n'étaient pas des plus banales… Il m'est arrivé de faire les 400 coups avec les gamins de mon âge, et… heu… ce n'est pas utile de s'attarder là-dessus. dit-il, étonné de se livrer à une inconnue qu'il ne connaissait pas la veille. D'un autre côté il garderait pour lui ce qu'il n'avait pas envie de dire.

Bref, ma mère s'est saignée aux quatre veines pour que je puisse faire des études d'architecte et j'aime à croire que je suis devenu un peu plus responsable.
Maintenant… qu'elle n'est plus là, je dois me débrouiller seul pour payer mes études et je bosse dans un fast-food à Wilmington, puisque c'est là que j'habite.
Tu vois, rien de vraiment folichon…

Mais puisque tu me poses la question, à moi de faire le curieux ! reprit-il avec un sourire. Ton enfance a du être nettement plus attrayante que la mienne, je me trompe ?

La situation prêtait à confusion pour le jeune homme. Plongé dans ses pensées un moment, il fit part de ses craintes à Esméralda. Il pensait que Micka imaginerait qu’il était là pour l’héritage, étant donné que ce dernier avait en effet reçu une somme importante de la part de ses parents. Mais Tristan lui affirma qu’il n’était là que pour connaître ses origines et Esse le crut volontiers. A vrai dire, elle n’avait même pas pensé à l’argent et n’avait donc aucune envie de songer que ce jeune homme était là pour ça. Ce qui eut le don d’émouvoir la jeune femme, par contre, c’est que son interlocuteur disait et semblait être perdu. C’est vrai, à ne plus savoir qui avait menti ou non, qui étaient ses parents, il ne devait plus très bien savoir qui il était vraiment…

Tristan se perdit alors dans l’exploration du paysage. Il ne devait pas y voir grand-chose puisqu’il faisait encore noir mais Esse comprit aisément qu’il ne regardait absolument pas ce qu’il était en train de fixer. Il réfléchissait et la situation de sa mère devait faire son chemin dans sa tête. Une réalité par forcément facile à assimiler et surtout à accepter.
Puis, se ressaisissant, il eut à nouveau ce geste si proche de celui de son frère, faisant une nouvelle fois détourner le regard à Esméralda. Mais il la regarda, et lâcha qu’il était perdu. Elle lui fit un petit sourire compatissant, ne sachant trop ce qu’elle devait faire ou dire. Seul Micka pourrait l’éclairer, éventuellement, si, tout au long de sa vie, il avait menti à celle qu’il avait prétendu aimer et à son frère.

C’est à ce moment qu’Esse lui dit pour son père, les mains dans les siennes. Mais il sembla perturbé autant qu’elle par ce contact inattendu. Il sauta du coq à l’âne après l’avoir remerciée d’avoir été honnête avec lui. Il se pouvait, disait-il, qu’ils soient très différents, Micka et lui. Oui, c’était possible, mais la ressemblance physique était là et ils ne pourraient pas le nier.

Enfin, ils partirent chercher du jus dans la voiture du jumeau et ils se mirent à discuter un peu. Esse évoqua son enfance, disant que ça aurait été bien que Tristan soit là, avec eux quatre. Le jeune homme s’arrêta sur le nombre, se demandant pourquoi ils auraient été cinq en tout. Curieux, il lui demanda s’il avait un autre frère ou une sœur. Esse sourit. C’est vrai, il ne connaissait pas Matt ni Tom non plus.

Non, c’est moi qui ai un frère. Matt et Micka sont devenus amis très jeunes, nos parents s’entendaient très bien… d’ailleurs, tu devrais aussi rencontrer mes parents, ils pourraient peut-être t’en dire plus à propos des vôtres ! dit-elle, enthousiaste. Quand on était petits, enfin, quand je suis née, on a souvent joué ensemble, Matt, Micka et moi. J’étais la princesse, Matt le chevalier noir et Micka le chevalier blanc qui venait me sauver ! continua-t-elle avec un sourire nostalgique au visage. On s’entendait tellement bien… Puis on a grandit… Tom est arrivé…

Mais elle enchaina, demandant à ce qu’il lui raconte sa vie, pour le connaitre un peu plus. Il évoqua une enfance moins reluisante que celle de Micka. Sur le coup, elle le trouva un peu injuste par rapport à ce que Micka avait vécu enfant. Il avait perdu ses parents très jeune et en avait énormément souffert… malgré qu’il avait de l’argent à disposition, les années de l’enfance avaient été difficiles. Mais elle réalisa qu’elle était à son tour en train de défendre Micka dans sa tête et stoppa net ses pensées, refusant de prendre son parti.
Tristan expliqua donc son enfance, une enfance et une vie difficiles, il fallait bien l’admettre. Le jeune homme n’avait pas grandit dans un quartier chic et avait apparemment bien failli partir à la dérive, comme bon nombre de jeunes dans un tel cas. Mais il s’était assagi pour sa mère, parce qu’elle se privait pour lui et qu’il voulait lui faire honneur. Maintenant, il étudiait l’architecture et comme sa mère n’était plus là, il devait travailler pour payer… chose qu’évidemment, ni Esse, ni Matt, ni Micka, ni même Tom n’avaient connu puisque tous quatre avaient grandi dans un foyer riche et sans souci financier.

Tristan retrouva néanmoins son sourire… il voulait savoir, lui aussi. C’était amusant, elle avait l’impression de le connaitre depuis longtemps, maintenant, et si son sentiment devait être dû à la ressemblance avec son frère, le fait que Tristan semble ressentir la même chose était lui inexplicable. Mais Esse en était heureuse.

Mon enfance ? Mon enfance… oui, je te l’ai dit, on s’est bien amusés avec Matt et Micka… c’est par la suite que tout a été moins drôle. Mais mon enfance… dit-elle en souriant. On jouait tout le temps ensemble, ces deux-là me protégeaient de tout, parfois un peu trop… Tom est arrivé par la suite, il a craqué pour moi, mais j'avoue que j'avais un faible pour Micka… on a grandit, je suis tombée amoureuse du meilleur ami de mon frère, comme presque toutes les sœurs ! dit-elle en riant. Mais on n’est jamais sortis ensemble… Matt refusait. Il ne voulait pas que je sorte avec quelqu’un comme lui, c’est-à-dire jamais sérieux avec les filles ! En fait, Matt, Tom et Micka pouvaient se permettre de jouer les libertins mais pas moi ! Ils étaient injustes ! Et Tom était jaloux ! ajouta-t-elle avec un sourire. Puis je suis partie. J’ai terminé mes études à l’étranger, en Europe. Quand je suis revenue, les deux garçons avaient commencé leurs études de médecine, Tom était toujours Tom, il a fait le droit, et comme je n’avais pas de quoi me loger, je suis allée vivre avec eux, Matt et Micka, qui avaient un appart ensemble. Ensuite…

Elle s’interrompit. A partir de cette époque, beaucoup de choses avaient chamboulé la vie d’Esse, des choses pour la plupart douloureuses et elle ne connaissait pas encore assez Tristan pour lui en faire part.

Ensuite… les choses ont été assez vite. Micka et moi avons fini par sortir ensemble mais comme tu l’auras deviné, ça n’a pas marché… et voilà, fin de l’histoire ! termina-t-elle avec un ton un peu plus amer qu’elle ne l’aurait dû ou voulu.

Mais mon enfance a été chouette, c’est vrai, je n’ai pas à me plaindre. Voilà pourquoi j’aurais aimé que tu y sois, la famille au complet. Mes parents ont divorcé quand j’étais encore petite mais ils se sont toujours entendus relativement bien. Micka venait souvent chez nous et on partait toujours en vacances ensemble, dans la maison de ma mère. On y est retourné il y a peu. C’était bizarre mais vraiment chouette ! Si tu restes… on pourrait t’y emmener ! Il faut que tu connaisses l’enfance de ton frère !

Esse jeta à nouveau un coup d’œil vers la fenêtre d’Allan, espérant qu’il comprendrait qu’elle discute un peu tant la situation était insolite. Reprenant une gorgée de jus de fruits, elle reporta son attention sur Tristan et se demanda bien ce que l’avenir allait encore leur réserver…

Esse racontait à Tristan l'enfance qu'il n'avait pas connue et qu'il aurait pu avoir tandis que la nuit commençait à s'éclaircir pour laisser la place à une aurore naissante.
Ni l'un ni l'autre n'avait apparemment vu le temps passer et il constata avec étonnement qu'il allait bientôt faire jour.
…Et que l'autre, là-haut, n'allait pas tarder à descendre. Bien, dans ce cas il aurait au moins son plein d'essence de fait… mais il n'était pas sûr que le pompiste le féliciterait de lui avoir gâché sa nuit !

Il apprit que la jeune femme avait un frère surprotecteur, qu'elle jouait avec lui et son propre jumeau et qu'ensuite était apparu un autre ami, Tom, qui avait lui aussi succombé au charme enfantin d'Esméralda. Il sut ensuite qu'elle était sortie avec Michael mais que ça n'avait pas marché. Rien d'étonnant, les amours d'ados ne marchaient pas bien longtemps…

Son frère et celui d'Esméralda étaient donc étudiants en médecine et le dénommé Tom avait fait son droit. Tristan se félicita de ne pas avoir abandonné ses études et de s'être accroché, il ne dénotait pas… Toutefois, il n'était pas sûr d'être à l'aise au milieu de ces gens-là, n'ayant pas reçu la même éducation, ce que Tristan ne souligna pas quand son interlocutrice lui parla de faire connaissance de ses parents. Elle proposa même de l'emmener dans la maison de sa mère, pour qu'il puisse connaître l'environnement de Michael.
Tout ça allait un peu trop vite pour le jeune homme, perturbé par la foule d'informations qu'il recevait depuis quelques jours et qui était en train de chambouler sa vie et de remettre pas mal de choses en question.

C'est gentil… dit-il poliment en souriant gentiment à la proposition. Mais je crois qu'il faut que je commence par le début. Déjà je vais contacter mon frère et ensuite nous essaierons de savoir ce qu'il s'est réellement passé durant notre enfance pour nous séparer… Ou je ferai mes recherches seul s'il ne m'accepte pas.
Pour débuter je vais demander un certificat de naissance… bien que je sois de moins en moins sûr qu'il existe un Tristan Finley ici…

Il fut tenté de lui demander quelque chose mais dans un premier temps n'osa pas.
Il réfléchit que la jeune fille avait été gentille avec lui et lui avait appris beaucoup de choses qu'il ignorait, déjà. La voyant lever les yeux vers la fenêtre – un jour blafard s'était levé maintenant – il comprit qu'elle allait partir ou que le pompiste allait descendre ouvrir la station, aussi il se décida avant qu'elle disparaisse définitivement de sa vie.

J'ai cru comprendre que tu ne voyais plus Michael…
…Si j'en apprends plus, tu veux savoir ? J'aimerais bien te raconter ce que j'ai découvert… si ça t'intéresse ?
C'est ici qu'on peut te joindre ? demanda-t-il en jetant lui aussi un coup d'œil vers la fenêtre.

"Il" ne va peut-être pas être content que je t'aie retenue si longtemps…

*Et de constater que nous avons une attitude plus familière, peut-être…*

Dès que j'aurai mon plein d'essence je me mettrai à la recherche d'un hôtel et je vais dormir un peu. Désolé d'avoir pris sur ton sommeil…

Tristan pensait qu'il avait fait plus que prendre sur son sommeil : il l'avait empêchée de rejoindre celui pour lequel d'emblée il n'avait pas d'atomes crochus, et maintenant moins encore qu'au début, et il en était plutôt satisfait. Une petite vengeance qui l'amusait assez, en fait…

Il entendit du bruit à l'intérieur de la station et se leva, allant jeter la bouteille de jus de fruit dans une poubelle proche.
Revenant vers elle, il regarda Esméralda, conscient qu'il ne la verrait peut-être plus. Indécis, il ne sut que lui dire d'autre, un peu vide de voir cette conversation se terminer.

Il se mit mentalement quelques coups de pieds aux fesses : il savait qu'il avait l'habitude de tomber amoureux tous les quatre matins. Il était sensible au charme de la jeune fille mais savait que d'ici deux jours il n'y penserait plus et qu'un jupon chasserait l'autre.
De plus, d'ici peu il serait de retour à Wilmington. Donc…

Mais tout de même, elle était ravissante et ce pompiste devait ignorer à quel point il était veinard…

Merci… dit-il avec un sourire chaleureux. Tu m'as apporté beaucoup de réconfort et j'ai appris énormément de choses, déjà. Va vite dormir, maintenant…

Doucement, et à mesure qu’ils parlaient, le jour se levait peu à peu, pour faire place à une nouvelle journée qui promettait d’être morne. Esméralda n’avait pas vu le temps passer, il fallait bien l’avouer. Cette nuit avait été des plus étranges, des plus surprenantes, et gorgée de surprises.

D’abord, elle avait fait la connaissance d’Allan, et ça avait plutôt mal démarré, en fait. Se brouillant dès le départ, ils avaient convenu de manière indirecte qu’ils ne s’aimaient pas et que ça en resterait là. Sauf que finalement, ils se trouvaient plutôt être sur la même longueur d'ondes, des êtres sensibles et blessés par la vie, deux êtres qui avaient besoin de quelqu’un pour les soutenir sans forcément s’engager dans quelque chose sur le long terme. Une sorte d’amitié améliorée, c’est comme ça qu’Esse voyait leur future relation. Ils allaient bien s’entendre, elle en était certaine, mais ne voulaient pas d’une relation amoureuse. Si Allan avait les mêmes idées, ils se verraient de temps en temps, pour parler et… le reste. Parce que curieusement, une certaine attirance physique les liait. Alors, cette nuit, ils avaient fini par la passer ensemble, et Esse avait été surprise de se plaire dans cette relation. Cette nuit avait été agréable, et c’était aussi sa façon de se venger de Micka, il fallait le reconnaitre, mais tout de même, elle appréciait beaucoup Allan et avait passé un moment qu’elle renouvellerait bien, à l’occasion. Il avait ce quelque chose qui faisait qu'elle se sentait bien en sa présence.

Ensuite, elle avait cru voir un Micka plus que culoté de la suivre dans ses moindres faits et gestes, mais avait finalement compris qu’il s’agissait de son frère jumeau, sorti de nulle part ! Elle était curieuse de savoir si Micka était au courant et avait gardé cela secret, mais elle en doutait. Il s’était souvent plaint de se retrouver seul, sans famille, même si Matt et elle en constituaient une. Voilà que maintenant, Michael Dean n’était plus seul. Non seulement il avait un frère, mais qui lui ressemblait en plus comme deux gouttes d’eau ! Nul doute sur leur lien de parenté, au moins !
Pour une surprise, elle était de taille et malgré tout, elle était contente d’être tombée sur ce Tristan qui, à bien des égards, était très charmant.
Ils avaient ainsi discuté une bonne partie de la nuit, s’expliquant leur vie, essayant de comprendre le sens de cette découverte et de s’arranger pour que la suite se déroule bien.

Ils avaient lentement appris à se connaitre un peu plus. Si Tristan pensait dénoter, il n’en était rien par rapport à Esméralda. Elle avait commencé des études artistiques, mais cette année avait été chaotique avec l’emprisonnement de Mickael, le tremblement de terre pendant les vacances et leur rupture. Esse n’allait plus au cours, elle ne suivait plus rien et était en train de louper complètement sa seconde année... en fait, elle l'avait loupée. Démotivée, elle n’avait plus envie de rien et ne comptait pas reprendre là où elle s’était arrêtée puisqu’elle s’était entêtée à détruire sa vie du mieux qu’elle le pouvait sans arriver au suicide, une fois de plus, une solution qui ne l’aiderait pas à se venger. Car c’était bien la vengeance qui l’habitait. Ou plutôt, une vengeance due à une colère intense, destinée à remplacer la tristesse et la dépression. Esse voulait devenir celle qu’elle ne serait jamais en réalité : une fille facile, vulgaire, et sans valeur. Certes, elle se transformait en l’une de ces gonzesses qui couchent avec qui passe, mais dans son esprit, rien n’était comme dans celui de ces filles-là. Pourtant, elle essayait de s’en convaincre…

Quoi qu’il en soit, dans la conversation, Esse avait proposé qu’il rencontre ses parents, qui pourraient peut-être lui donner plus d’informations, et elle avait même souhaité qu’il vienne dans leur maison chez sa mère, pour vivre enfin la vie de famille qu’il aurait dû connaitre.
Tristan remercia poliment Esse, mais émit des objections. Il lui expliqua vouloir commencer par le début, c’est-à-dire rencontrer Mickael ou en tout cas, avoir un contact avec lui. Il se tut un instant tandis qu’Esse regardait la fenêtre d’Allan, se disant qu’elle devrait remonter, puis d’une voix moins assurée, lui posa une question qui la surprit.
Il avait envie de partager avec elle ses découvertes, parce qu’elle semblait connaitre Michael et que Tristan avait envie de lui raconter. Ca la toucha, lui offrant en surplus une pointe au cœur de tristesse. Il lui demanda si elle était intéressée par les résultats de ses recherches et chercha à savoir si il pouvait la joindre ici. Elle sourit.

Non, je n’habite pas ici ! J’habite chez mon frère et sa copine, pour l’instant, même si je n’y suis pas beaucoup… je vais te donner mon numéro de portable parce que oui, j’aimerais bien savoir le fin mot de l’histoire ! Je ne vois plus Michael mais… je… sa famille, votre famille m’importe beaucoup… dit-elle, hésitante.

Puis, tandis que Tristan avait lui aussi jeté un œil à la fenêtre, il lui dit qu’Allan n’allait pas être content qu’il l’ait retenue aussi longtemps. Il lui dit que dès qu’il aurait son plein, il irait dormir dans un hôtel puis entamerait ses recherches. Elle sourit, amusée.

Il ne sera pas fâché, enfin je ne crois pas, de toute façon c’est moi qui suis restée ! Si tu veux, on peut te trouver un logement pour que tu ne doives pas dépenser une fortune en hôtel ! dit-elle alors, ayant retenu qu’il ne roulait pas sur l’or. Simple coup de main qui en réalité pourrait être mal pris, mais Esse n’y songea même pas, son côté gentil et affectueux ressortant plus que jamais en la compagnie de cet étranger pourtant si familier.

Du bruit se fit entendre, alors Tristan se leva pour jeter la bouteille de jus de fruits, puis revint vers elle et la regarda. Un silence gênant s’imposa, alors Esse se releva et constata qu’avec la lumière du jour, et l’alcool en moins, elle était nettement moins à l’aise de se retrouver en petite tenue. Tristan eut la bonne idée de parler pour dissiper la gêne de la jeune femme qui se colla à un mur près de la porte et tâcha comme elle put d’en montrer le moins possible sur ses jambes.
Il la remercia sur un ton chaleureux, puis lui dit qu’il avait eu plaisir à bavarder, que ça lui avait apporté du réconfort et qu’il avait déjà appris beaucoup de choses… puis il l’invita à aller se reposer. Il parlait comme un ami, un vrai ami, un dont on ne peut pas se passer, qu’on connait par cœur et qui vous connait par cœur, toute l’affection qu’il ressent à votre égard se traduisant dans ses paroles tendres.
Tristan avait parlé exactement de cette façon, et Esse ne put s’empêcher de l’observer une fois de plus différemment, comme si elle avait en face d’elle quelqu’un qu’elle connaissait. Elle finit par avoir un sourire un peu nostalgique.

Je suis contente d’avoir pu t’aider ! N’hésite pas à m’appeler si tu as besoin de quoi que ce soit ! dit-elle gentiment, tandis que les pas d’Allan se faisaient entendre dans les escaliers. Tu devrais te reposer aussi après la longue route que tu as fait… dit-elle un peu timidement.
Allan sortit enfin et Esse se tourna immédiatement vers lui pour se délivrer des sentiments qui encore une fois l’envahissaient. Elle posa une main sur son bras en un geste affectueux et lui glissa un « Je suis désolée, je t’expliquerai » à l’oreille avant de lui faire un bisou tendre sur la joue, qui la surprit elle-même, puis de remonter. En refermant la porte vitrée, elle jeta un dernier regard à Tristan et lui sourit.

Le perturbateur nocturne s’obstinait dans son comportement de colonisateur esclavagiste, considérant normal de s’adresser à Allan en langage « petit négre », affirmant même que c’était le seul susceptible d’accéder de façon compréhensible aux quelques neurones qui avaient du s’égarer sous son crâne de dégénéré.

A ce stade comportemental d’un autre age, il aurait été vain pour Allan de tenter de faire comprendre à ce nouvel arrivant que parfois la forme est plus importante que le fond, et qu’il ne sert à rien d’humilier gratuitement quelqu’un.
Monsieur se pensait dans son bon droit, riche et bien élevé, et seule la précarité de sa situation empêchait Allan de lui voler dans les plumes.

Et puis il ne voulait surtout pas augmenter le bruit existant craignant de réveiller définitivement Esse et donner de lui une image de brute préhistorique.
Pourtant, il ne fut pas surpris de l’entendre descendre les escaliers et arriver derrière lui, juste vêtue de sa chemise trop ample pour elle.
Il ne fut pas sans remarquer le regard que l’intrus fit peser sur elle à ce moment, mais resta abasourdi quand elle l’apostropha de façon qui ne laissait aucun doute sur l’identité de celui qui jouait les perdus indignés.

Ainsi donc tout ceci n’était que comédie et ils se connaissaient. Apparemment leur relation n’était pas au beau fixe.
Par contre pourquoi avait-il jeter leur dévolu sur le garage ou travaillait Allan pour régler leurs comptes.
Embarrassée Esse lui jeta un regard explicite qu’il se garda bien d’interpréter.
Courtois, il décida de la laisser gérer ce conflit en toute intimité, même si il se sentait un peu comme le cocu de l’histoire.
Habitué à n’être qu’intermittent de sa vie il remonta sans esclandre à l’étage, conscient que le lendemain était arrivé bien tôt cette fois ci.

………..

On attribue à la nuit bien des qualificatifs et l’on peut dire que celle d’Allan fut non seulement perturbée mais aussi pleine d’amertume.
Entrecoupée de réveils angoissants et frustrants, elle ne fut pas réparatrice et il ne pouvait s’empêcher de penser à ce qui se passait à quelques mètres de lui.
C’était un véritable abus d’hospitalité auquel il avait eu droit.

La mélodie des corps à peine terminée la réalité était venue se rappeler à lui de façon particulièrement humiliante et perverse.
Inutile pour lui de se poser des questions sur la suite de l’histoire. Il venait d’être renvoyé à sa place.
Il n’en voulait à personne…et se maudissait d’avoir cru un instant…juste un instant…

Le jour pointait timidement et il se leva pour aller prendre sa douche.
L’estomac noué il renonça à prendre un café, et machinalement, sans réfléchir, sorti son sac du placard pour y empiler ses affaires.
Il le posa sur son lit, bien décidé à ne pas passer une nuit supplémentaire là ou un espoir avait avorté.
Il attendrait que Madame Strafford passe dans la journée pour lui faire part de sa décision de ne pas continuer sa période d’essai.

A son arrivée dans le bureau de la station, Allan ne vit pas de suite celui par qui tout était arrivé et regarda Esse avec un regard fatigué, vide de toute expression.
Celle-ci lui posa la main sur le bras et murmura qu’elle lui expliquerait, qu’elle était désolée.
La bise déposée sur sa joue avait l’amertume de la trahison.
Puis lâchant un nouveau sourire qui n’était pas destiné à Allan elle disparut dans l’escalier.

*désolée ! Mais désolée de quoi ? De m’avoir utilisé ? Expliquer quoi ? Que maintenant tout allait mieux pour elle… que j’avais été un bon garagiste et accessoirement un bon coup de passage…avec un peu de chance j’aurais un bon pourboire…entre ce con qui me prend pour un esclave et elle pour un gigolo…elle me doit rien comme explication…c’est moi qui suis stupide de me faire des films…bye bye Somber…*

Allan mit en route les pompes et ouvrit le rideau métallique du garage.
Celui qui ne répondait à aucun nom, attendait devant les poubelles.
Le décor lui allait fort bien et renforçait l’air paumé qui était le sien au jour commençant.
Allan le regarda perplexe et sans animosité aucune.
Il le trouva quelconque et se demanda ce qu’elle pouvait lui trouver de particulier.
Un petit sourire naquit sur les lèvres d’Allan en le voyant ainsi, désemparé et dépendant.

*je crois que j’ai fait mon sac un peu tôt moi !*

« Donc vous vouliez du carburant pour votre véhicule » prononça-t-il, jerrican de 25 litres à la main.
Sans attendre de réponse il le remplit à la pompe puis se dirigea vers la jeep en attente en bout de piste.
Bouchon de réservoir déverrouillé, Allan transvida le précieux liquide dans le véhicule.

De retour au bureau, il fit une fiche et la tendit au débiteur :

« 21,25 dollars s’il vous plait. »

Et si quelqu’un lui avait demandé d’expliquer son comportement, Allan en aurait été bien incapable.
Sens du commerce, pitié pour un paumé, ne pas occulter toute relation avec Esse, se donner bonne conscience…et tellement d’autres possibilités…

*et je voudrais bien comprendre aussi !*

Quelle drôle de nuit il venait de passer… Arrivé à Somber City dans un état de stress incommensurable, une conversation prolongée avait tout à la fois plongé Tristan dans un abîme de réflexion, avait levé des doutes, avait balayé ses espoirs de retrouver son père et l'avait dans le même temps rasséréné sur certains points.

Il était maintenant las et fatigué mais nettement plus détendu qu'en arrivant, grâce à une certaine Esméralda belle à croquer qu'il ne connaissait pas la veille...
Avant de partir elle lui jeta un dernier regard et lui sourit, sourire qu'il lui retourna avant de la voir disparaître.

Maintenant son pompiste de petit ami venait de faire son apparition et il se dirigea vers lui pour le servir, faisant comme si de rien n'était. Ce garçon là possédait un sang-froid hors du commun qui força quelque peu l'admiration de l'impulsif Tristan qui culpabilisa et regretta son agressivité du début. Trop orgueilleux pour l'admettre, il resta cependant coi et se contenta de hocher la tête quand l'autre lui proposa de l'essence.

Tristan resta sur place et le regarda remplir son réservoir, puis le suivit une fois son travail terminé jusqu'à la caisse pour régler son dû. Leurs regards se rencontrèrent et Tristan baissa les yeux vers la poche de son pantalon tout en rangeant soigneusement sa monnaie.

Désolé pour tout à l'heure… finit-il par lâcher. Des soucis personnels et ma nervosité a fait le reste. Esméralda vous expliquera…

Besoin de faire amende honorable ? Sans doute, il était bien conscient d'avoir poussé le bouchon un peu loin, et par sa dernière petite phrase il lui laissait un droit de regard sur sa vie privée, laissant à la discrétion d'Esméralda ce qu'elle jugerait bon de révéler ou non.

Dans l'immédiat, il n'avait pas l'intention de se faire des ennemis dans cette jolie petite ville où les habitants avaient l'air si sereins, une ville où la douceur de vivre et la quiétude devaient être reines, un endroit idyllique loin des tracas des grandes agglomérations dans lequel il devait être bon de s'installer…
Mais pour l'instant, loin de lui l'idée de quitter son logement à Wilmington et encore moins son emploi. Il n'était qu'ici de passage pour enquêter sur son passé et celui de ses parents ainsi que, chose extraordinaire, rencontrer un frère jumeau dont il ne connaissait pas l'existence quelques dizaines d'heures plus tôt.

Tristan ne laissa pas le temps au jeune homme de répliquer et sur un "Bonne journée" murmuré il retourna vers son véhicule. Il démarra ensuite sans perdre de temps pour sillonner Somber City à la recherche d'un hôtel pratiquant des tarifs raisonnables, espérant ne pas se mettre un peu plus sur la paille qu'il ne l'était déjà.

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